Pêche artisanale: moteur de développement post Covid-19

Des conditions de travail décentes dans la filière pêche artisanale: Un élément essentiel pour l’après crise Covid-19

La pêche artisanale africaine mobilisée dès le début de la pandémie

Depuis que la pandémie du Covid 19 a touché les côtes africaines, la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA) et ses membres se mobilisent. Début avril, dans une lettre adressée à l’Union africaine et aux gouvernements africains des 25 pays où la CAOPA compte des membres, nous avons appelé les décideurs à prendre des mesures urgentes en consultation avec le secteur afin que les pêcheurs, mareyeurs et femmes transformatrices puissent poursuivre leurs activités.

En effet, le secteur est essentiel pour la sécurité alimentaire de la population, et fournit, selon la FAO, plus de dix millions d’emplois aux hommes et aux femmes des communautés côtières africaines. Pour citer un exemple, une pirogue pêchant les petits pélagiques au Sénégal peut employer une centaine de personnes de la capture jusqu’à l’assiette du consommateur.

Les mesures prises pour lutter contre la pandémie s’avèrent de plus en plus difficiles pour les hommes et les femmes qui travaillent dans la pêche artisanale africaine.

Les restrictions imposées dans la plupart des pays africains aux rassemblements, à la circulation des personnes et des biens, et la fermeture des marchés traditionnels des produits de la pêche artisanale, rendent l’accès au poisson difficile pour les plus démunis.

En raison du manque d’installations et d’équipements, le maintien de l’hygiène et les mesures sanitaires pour lutter contre l’épidémie est également compliqué à bord des embarcations, dans les sites de débarquement, les sites de transformation et les marchés. Par ailleurs, les femmes de la pêche artisanale africaine sont particulièrement touchées, car elles gagnent leur vie au jour le jour. Comment peuvent-elles mettre de la nourriture sur la table pour les personnes à leur charge lorsque leur activité de transformation est réduite par un couvre-feu ? Ou lorsque le confinement strict à la maison entrave leur accès aux matières premières ?

Les organisations professionnelles de la pêche artisanale ont pris des mesures. Dans de nombreux endroits, elles sensibilisent sur les mesures d’hygiène et d’éloignement nécessaires que les travailleurs de la pêche doivent respecter. Dans certains cas, elles ont fourni des kits sanitaires préventifs à tous ceux qui sont actifs dans la chaîne de valeur de la pêche artisanale.

Les organisations professionnelles appellent ainsi les décideurs à trouver des moyens qui permettront à la pêche artisanale de poursuivre ses activités essentielles : soutien à la trésorerie, circuits de distribution du poisson, etc.

Toutefois, la vétusté des installations et des outils tout au long de la chaîne de valeur, le manque d’installations sanitaires et de kits de prévention dans de nombreuses communautés de pêche artisanale reste un défi.

Pour la CAOPA, la crise du Covid19 doit être l’occasion de répondre aux défis existant de longue date dans la pêche artisanale et d’améliorer à long terme les conditions d’hygiène et de travail des hommes et des femmes de la filière.

 Quels outils pour améliorer les conditions de travail dans la filière pêche artisanale africaine? Il existe des instruments internationaux pour améliorer les conditions de travail du secteur de la pêche artisanale : • La Convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche ;

• Les Directives Volontaires de la FAO pour une Pêche artisanale durable et le guide de la FAO (en développement) pour la durabilité sociale dans les chaînes de valeur pêche et aquaculture.  La Convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche La Convention sur le travail dans la pêche, adoptée en 2007 par les représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs au niveau de l’Organisation internationale du Travail (OIT), a pour objectif «d’assurer que les pêcheurs bénéficient de conditions décentes pour travailler à bord des navires de pêche en ce qui concerne les conditions minimales requises pour le travail à bord, les conditions de service, le logement et l’alimentation, la protection de la sécurité et de la santé au travail, les soins médicaux et la sécurité sociale ». Ce texte traite de divers aspects qui n’avaient pas été retenus par les instruments précédents : rapatriement, recrutement, soins médicaux à bord, santé et sécurité au travail, protection sociale, respect et application. Par rapport aux autres instruments de l’OIT portant sur la pêche, c’est la première fois qu’une convention englobe aussi la pêche artisanale continentale et maritime. La Convention inclut dans son champ d’application les grands et les petits bateaux, pontés ou non, et les pêcheurs à bord. Les pays qui ratifient la Convention devront élaborer des lois, règlements ou autres portant sur une série de points qui sont essentiels pour promouvoir des conditions de travail sûres et décentes dans la pêche artisanale, y compris : • Fixation d’un âge minimum ; • Organisation d’un examen médical ; • Élaboration de la liste d’équipage; • Conditions de rapatriement des pêcheurs ; • Conditions de recrutement, de logement ; • Conditions sanitaires à bord ; • Fourniture d’alimentation et d’eau potable à bord; • Formation de membre(s) d’équipage pour donner les premiers soins à bord; • Prévention des accidents du travail, des maladies professionnelles et des risques liés au travail à bord ; • Assurance progressive d’une protection de sécurité sociale pour les pêcheurs et leur famille.

La Convention prévoit une mise en œuvre progressive afin de donner à certains pays la possibilité de prendre plus de temps pour appliquer certaines dispositions pour certains types de bateaux. Cette disposition sera utile pour la pêche artisanale où beaucoup d’activités sont encore informelles. Cette approche de mise en œuvre progressive devrait faciliter la ratification de ce texte par les pays africains car elle prend en compte leurs difficultés à remplir toutes les obligations de la Convention du fait des insuffisances de leurs infrastructures et de leurs institutions. Pour que les pouvoirs publics soient vraiment capables de faire respecter lois et règlements, il sera nécessaire de procéder à une réorientation majeure ou une rationalisation des administrations chargées de la pêche, des affaires maritimes, de la sécurité des bateaux, du travail. Une telle évolution s’avère indispensable pour aider les pays africains à adopter des mesures législatives pertinentes. Quatre pays africains ont ratifié la Convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche: le Congo (2014), l’Angola (2016), la Namibie (2018), le Sénégal (2018)

Nous recommandons aux autres pays africains de suivre l’exemple de ces 4 pays et de ratifier la Convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche, et de chercher les voies et moyens pour l’appliquer afin d’améliorer les conditions de travail des pêcheurs artisans.

 Les Directives Volontaires de la FAO pour une Pêche artisanale durable et le guide de la FAO pour la durabilité sociale dans les chaînes de valeur pêche et aquaculture Toute la chaîne de valeur de la pêche artisanale n’est pas couverte par la Convention 188 de l’OIT, en particulier les femmes du secteur . En effet, les femmes de la pêche artisanale africaine, bien que présentes tout au long de la filière, sont en particulier actives dans des activités à terre non couvertes par la Convention : le secteur de la transformation et de la commercialisation. Or, Aujourd’hui, on ne peut que constater, dans la plupart des pays africains, que les conditions de travail de ces femmes ne sont pas décentes: les transformatrices travaillent toute la journée dans la fumée, parfois au milieu des immondices, sans accès aux sanitaires, à l’eau potable ou à l’électricité. Souvent, leurs enfants en bas âge les accompagnent et vivent dans ces mêmes conditions inhumaines. L’amélioration des conditions de travail est une des préoccupations principales des femmes dans la pêche artisanale africaine. Cette préoccupation a été prise en compte par les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté, notamment dans les chapitres qui suivent :

  1. Développement social, emploi et travail décent : Dans ce chapitre, les Directives contiennent des indications concernant la situation socio-économique des travailleurs et travailleuses du secteur de la pêche artisanale et de leurs communautés. « Les États se doivent de promouvoir la protection des travailleurs du secteur de la pêche artisanale. Les États doivent soutenir la mise en place de services et d’accès aux services comme les systèmes d’épargne, de crédit et d’assurance, en veillant particulièrement à garantir l’accès des femmes à ces services. Il faut que les États prennent des mesures en vue de concrétiser progressivement le droit de travailler dans des conditions conformes aux normes internationales et nationales relatives aux droits humains. Toutes les parties s’efforcent de garantir la prise en compte de la question de la santé et de la sécurité au travail comme faisant partie intégrante de la gestion des pêches et des initiatives de développement du secteur. Il faut que les États fassent le nécessaire, pour que, progressivement, les membres des communautés d’artisans pêcheurs aient accès à des conditions abordables à des services publics essentiels: services d’assainissement indispensables sûrs et hygiéniques, eau potable pour des usages personnels et domestiques, sources d’énergie, etc. Il convient que toutes les parties créent des conditions propres à permettre aux hommes et aux femmes des communautés d’artisans pêcheurs de pêcher et de mener des activités en rapport avec la pêche dans un cadre bannissant toutes les formes de délinquance et de criminalité: violence, criminalité organisée, piraterie, vol, sévices sexuels, corruption et abus de pouvoir. Il est important que toutes les parties s’attachent à prendre des mesures visant à éradiquer la violence et à protéger les femmes qui y sont exposées dans les communautés de pêcheurs artisanaux. Il convient que les acteurs du secteur de la pêche artisanale reconnaissent l’importance du bien-être et de l’éducation des enfants pour l’avenir des enfants eux-mêmes, mais aussi de la société tout entière. Les enfants doivent aller à l’école et être protégés contre toute forme de maltraitance. Tous leurs droits doivent être respectés, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant. » Extrait chapitre 6 des Directives
  2. Chaînes de valeur, activités après capture et commerce Les Directives reconnaissent que les activités après capture ainsi que d’autres activités de la chaîne de valeur sont des éléments essentiels d’une pêche artisanale durable. « Il importe que toutes les parties favorisent les améliorations susceptibles de faciliter la participation des femmes aux activités après capture. Les États se doivent de veiller à ce que des équipements et des services adaptés aux femmes soient disponibles, afin que celles-ci puissent continuer à gagner leur vie et améliorent leurs moyens d’existence dans ce sous-secteur. Il faut que les États encouragent, assurent et facilitent les investissements dans des infrastructures et des structures organisationnelles adaptées, ainsi que dans le renforcement des capacités, pour permettre au sous-secteur après capture de la pêche artisanale de produire, de manière responsable et durable, du poisson et d’autres produits de la pêche qui soient salubres et de bonne qualité, aussi bien pour l’exportation que pour les marchés intérieurs. Les Etats sont appelés à prêter leur concours à la création de coopératives, d’organisations professionnelles du secteur de la pêche artisanale et d’autres structures organisationnelles, ainsi que de mécanismes de commercialisation, par exemple les criées, l’utilisation de technologies numériques, etc. Il faut que toutes les parties évitent les pertes et déchets après capture et cherchent des moyens de créer une valeur ajoutée, notamment en misant sur des technologies traditionnelles et locales à la fois efficaces et peu coûteuses, sur les innovations locales et sur des transferts de technologie adaptés au contexte culturel. Il convient de promouvoir des pratiques viables sur le plan environnemental dans une optique éco systémique et d’inciter à éviter, par exemple, le gaspillage des moyens de production (eau, bois de feu, etc.) lors de la manipulation et du traitement artisanal du poisson. Il est nécessaire que les États facilitent l’accès aux marchés locaux, nationaux, régionaux et internationaux et encouragent le commerce équitable et non discriminatoire des produits de la pêche artisanale. Il appartient aux États de faciliter l’accès des parties prenantes de la chaîne de valeur de la pêche artisanale à toutes les informations pertinentes sur les marchés et les échanges. Les parties prenantes du secteur de la pêche artisanale doivent pouvoir accéder à des informations précises et actualisées sur les marchés, qui les aideront à s’adapter à l’évolution des conditions du marché. » Extrait chapitre 7 des Directives Sur la base de ces Directives, la CAOPA a également participé, avec ses partenaires, à la consultation de la FAO, en 2019, sur l’élaboration d’un guide pour la durabilité sociale dans les chaînes de valeur de la pêche, en suggérant la création d’un document d’orientation spécifique pour la pêche artisanale avec des références aux aspects sociaux et aux exigences minimales tirées des Directives volontaires de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (Directives VG-SSF) et de la Convention OIT C188 sur le travail dans le secteur de la pêche. Ces orientations devraient aider toutes les parties prenantes, y compris les gouvernements, à utiliser ces instruments internationalement acceptés pour promouvoir des chaînes de valeur socialement responsables et pour autonomiser les hommes et les femmes dans le secteur de la pêche artisanale.

Nous recommandons aux pays africains de mettre en œuvre les Directives volontaires de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale par des plans nationaux d’action nationaux élaborés de manière transparente, participative et sensible aux enjeux de genre.

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