Dans l’axe 2 de son programme électoral, les nouvelles autorités sénégalaises ont dévoilé leurs priorités pour “la gestion durable du secteur de la pêche et de l’aquaculture”. Parmi celles-ci, quelques mesures clés retiennent l’attention de l’association pour la promotion et la responsabilisation des acteurs de la pêche artisanale maritime au Sénégal (APRAPAM) pour l’avenir de la pêche artisanale.
Priorité sur l’aménagement des pêcheries de petits pélagiques et l’arrêt de la production de farine de poisson
Une première proposition est ‘la mise en œuvre de plans d’aménagement portant sur des pêcheries capitales’. Aller vers une gestion responsable de nos ressources est l’élément-clé pour l’avenir de notre secteur et les plans d’aménagement en sont un outil essentiel.
En premier lieu, il conviendra de ré-investir massivement dans la recherche halieutique. Si nous ne connaissons pas l’état de nos ressources, comment pourrons nous savoir si nous les pêchons de façon responsable ? Le Centre de Recherches halieutiques Dakar Thiaroye, le CRODT, doit impérativement recevoir son budget annuel. Il est aussi essentiel d’acheter un nouveau navire afin de mieux évaluer l’état du stock pour aboutir à des données statistiques fiables pour une meilleure gouvernance des pêches.
Une urgence, c’est la mise en œuvre de plans d’aménagements des petits pélagiques, la sardinelle (yaaboy) surtout, véritable filet de sécurité alimentaire de nos populations. La pêche de petits pélagiques est une source d’emplois et revenus pour les populations, et en particulier les femmes transformatrices, qui le commercialisent dans toute la région. Plusieurs espèces de petits pélagiques, notamment la sardinelle ronde et plate, et l’Ethmalose (Koobo), continuent d’être surexploitées, surtout à cause de la production de farine et d’huile de poisson, le nombre d’usines ayant augmenté de façon exponentielle dans la dernière décennie. Un rapport récent remarque qu’au Sénégal, la disponibilité per capita de petits pélagiques est passée d’environ 16kg/an à 9 kg entre 2009 et 2018.
Devant cette situation alarmante et la menace d’une crise alimentaire majeure, il serait incompréhensible que le gouvernement soutienne ‘la production d’aliments de poissons au niveau local à travers la mise en place d’unités industrielles’, comme proposé dans son programme. Il faut une approche cohérente permettant de diminuer la pression sur nos ressources et de les réserver à l’alimentation humaine.
Maintenir l’engagement pour la co-gestion, et lutter contre l’opacité des sociétés mixtes
La participation des acteurs de la pêche artisanale à la gestion, un engagement pris depuis 2015, est un atout pour le Sénégal. Cependant, la participation des acteurs à la gestion de la pêche ne peut se faire que s’il y a la plus grande transparence dans la gestion de la pêche. Ainsi, le Sénégal, qui depuis 2016 s’est dit ouvert à rejoindre l’initiative de transparence pour la pêche FiTi, devrait joindre les actes à la parole, notamment en publiant régulièrement la liste de bateaux autorisés à pêcher dans nos eaux.
En effet, ce manque de transparence se manifeste avant tout dans la gestion de l’allocation des licences de pêche au Sénégal. Ainsi, début août 2023, le Conseil interprofessionnel de la pêche artisanale du Sénégal (CONIPAS), dénonçait le manque de transparence dans l’attribution de licences à des navires d’origine étrangère, d’origine chinoise surtout, mais aussi coréen, européen, turque ou russe.
Depuis dix ans, la société civile sénégalaise a élevé la voix plusieurs fois contre la volonté du gouvernement d’allouer en catimini des licences à des navires d’origine étrangère, présents au Sénégal à travers des sociétés mixtes et des contrats d’affrètement. L’audit du pavillon sénégalais, promis à de nombreuses reprises depuis 2006 reste d’actualité dans le programme électoral du gouvernement. Cet audit devrait être publié. Le poisson appartient à tous les sénégalais et il est juste que tous nos citoyens sachent quelles compagnies, de quelle origine, ont pris notre pavillon pour pêcher au Sénégal et même parfois, dans toute la région.
Pour assurer que ces bateaux d’origine étrangère n’entrent pas en compétition avec la pêche artisanale locale, et soient en ligne avec les objectifs de développement durable de la pêche au Sénégal, la Commission consultative d’attribution des licences devrait jouer un rôle plus important. Pour cela, elle devrait devenir une Commission délibérative, – et non plus consultative comme aujourd’hui-, avec un nombre plus important de représentants des parties prenantes de la pêche. Aujourd’hui, seulement trois membres de cette Commission représentent les professionnels sur plus d’une dizaine qui sont des représentants des administrations et autorités.
Une zone de pêche artisanale de 12 miles, qui doit être bien protégée
Une première importante faite par le nouveau gouvernement dans son programme électoral, c’est de réserver ‘la zone 12 milles marins (12 miles) à l’exercice exclusif de la pêche artisanale. Cette réforme majeure vise à protéger la pêche artisanale et les professionnels artisans de l’incursion des bateaux de pêche industrielle’.
La surveillance participative a son rôle à jouer dans ce contexte. Pour la pêche artisanale sénégalaise, la pêche INN, en particulier les incursions de navires utilisant des engins destructeurs dans les zones côtières, comme les chalutiers côtiers, reste un fléau à combattre car elle est directement liée à la surpêche et présente donc un risque pour la sécurité alimentaire.
Pour lutter contre ces incursions, la surveillance participative est vantée depuis plusieurs décennies, mais elle n’est pas encore définie de manière claire et légale, notamment via l’adoption du statut de surveillant pêcheur, et manque généralement de soutien administratif, logistique et financier.
Parmi les problèmes, signalés par les pêcheurs impliqués dans cette surveillance, citons le manque d’embarcations, le fait que les pêcheurs doivent fournir leur propre carburant pour les sorties de surveillance, et l’absence fréquente de réaction des autorités lorsqu’il s’agit de faire respecter la réglementation par les bateaux identifiés par les pêcheurs artisans comme étant engagés dans la pêche INN. Les pêcheurs artisans qui tentent de défendre leurs pêcheries locales le font à leurs propres frais et en prenant des risques considérables, souvent sans garantie que les autorités vont effectivement arrêter les contrevenants.
Pour que le système fonctionne, il faut fournir aux pêcheurs artisans des équipements adéquats, leur permettant d’informer directement les autorités d’activités suspectes, et définir clairement les rôles et responsabilités respectifs des pêcheurs et des autorités.
Accord de pêche
Enfin, le gouvernement propose de suspendre l’accord de pêche avec l’Union Européenne, alors que le protocole de l’accord de pêche avec l’Union européenne vient à échéance le 17 Novembre 2024.
Il est effectivement important d’évaluer les enjeux de cet accord pour les professionnels, hommes et femmes, de la pêche artisanale sénégalaise.
A l’exception de deux chalutiers pêchant le merlu, tous les navires qui pêchent dans le cadre de cet accord sont des navires thoniers : 28 thoniers senneurs, 10 thoniers canneurs et 5 palangriers (espagnols, français et portugais).
Le thon est une espèce de poisson hautement migratoire qui voyage dans l’Atlantique, en haute mer, mais aussi dans les zones économiques exclusives (ZEE) des pays africains qui bordent l’Atlantique, dont le Sénégal. Ces espèces de thon sont gérées par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA), qui est une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP). Le rôle de la CICTA est de fixer des limites de capture pour une série d’espèces de thon, de répartir ces ressources par le biais de quotas entre ses membres qui ont un intérêt dans ces pêcheries, et de faire des recommandations pour la gestion durable d’autres espèces de thon sans émettre de quotas. Pour toutes les espèces, les pays membres qui souhaitent développer leurs pêcheries doivent soumettre un plan de développement durable à la CICTA. Les thonidés qui migrent dans les eaux sénégalaises à tout moment de l’année n’appartiennent pas au Sénégal. Pour les espèces de thons qui sont gérées par des quotas, ils “appartiennent” aux pays qui ont reçu des quotas de la CICTA. Pour les autres, elles appartiennent aux pays qui les pêchent.
Dans le cadre de l’Accord entre l’UE et le Sénégal, l’UE ne paie pas pour capturer des poissons sénégalais, comme elle le fait par exemple en Mauritanie ou en Guinée-Bissau. Elle paie pour avoir accès aux eaux sénégalaises afin de capturer des espèces migratrices lors de leur passage dans les eaux du Sénégal.
S’il n’y avait pas d’accord avec le Sénégal, les bateaux européens continueraient à pêcher ce thon en dehors des eaux sénégalaises, lorsque ceux-ci nagent en haute mer ou dans les ZEE des pays voisins avec lesquels l’UE a conclu un accord, et le Sénégal ne recevrait aucune compensation financière.
Dans ce contexte, on peut aussi se demander pourquoi le Sénégal montre si peu d’intérêt pour le développement d’un secteur local de pêche thonière artisanale. Dans les années 70, le Sénégal avait développé une flotte, la SOSAP (Société Sénégalaise d’Armement à la Pêche).
Cependant, ces dernières années, le Sénégal n’a pas présenté de plan ambitieux pour le développement d’une flotte thonière sénégalaise au niveau de la CICTA. Et donc, pour les espèces sous quota, le Sénégal ne reçoit que des miettes. Cela va peut-être changer avec le possible repavillonnement d’une flotte de bateaux industriels thoniers d’origine coréenne. Mais les antécédents de cette flotte coréenne, entachés d’accusations de pêche illicite, n’est pas pour rassurer les acteurs du secteur.
Ne serait-il pas préférable que le Sénégal se concentre sur le développement d’une pêche thonière artisanale durable dans ses eaux, plutôt que de laisser la pêche thonière entièrement aux mains d’acteurs étrangers, européens ou asiatiques ?
Si un nouveau protocole d’accord finissait par voir le jour avec l’UE, un autre aspect à améliorer, c’est l’utilisation des fonds de l’appui sectoriel. Actuellement, certains projets financés par l’UE ne sont pas adaptés ou ne bénéficient pas à la pêche artisanale. Par exemple, le seul navire de recherche au Sénégal, mis à neuf avec des fonds de l’appui sectoriel, l’Itaf Deme, est un navire obsolète qui ne répond pas aux besoins actuels. De surcroît, le navire, qui a plus de deux décennies, n’a pas opéré depuis 2022 suite à une panne.
Dans les derniers protocoles d’accord de pêche avec l’UE, l’appui sectoriel a servi notamment à la fourniture d’équipements de sécurité en mer aux pêcheurs artisans, au développement de programmes de surveillance participative impliquant les communautés de pêcheurs artisans. Mais les acteurs ne sont pas informés de ces actions, et ne sont pas à même d’en évaluer la pertinence.
Le problème principal, c’est le manque de transparence dans les choix pour l’affectation et dans l’utilisation des fonds de l’appui sectoriel. De plus, les rapports annuels des pays pour l’Union européenne ne sont pas rendus publics. Il est évident que sans la participation des parties prenantes, les décisions de projets d’appui sectoriel imposées depuis le haut n’auront ni l’approbation des communautés ni l’impact espérés.
En conclusion, le nouveau gouvernement s’est donné un programme ambitieux pour la pêche et l’aquaculture. Il faut prendre le temps d’entamer une réflexion avec les hommes et les femmes de la pêche artisanale sénégalaise et la société civile, afin d’évaluer la cohérence de ces propositions, et de voir comment les mettre en place tout en conservant les acquis des dernières années. Comme en toute chose, il importe de se hâter lentement.