Sommet sur la pêche artisanale 2024: Le discours d’appel à l’unité de Gaoussou Gueye

C’est parti pour le 2ᵉ sommet sur la pêche artisanale relatif à la Commémoration du 10ᵉ anniversaire des Directives volontaires, au siège de la FAO, à Rome !

Cet événement majeur, qui se déroulera du 5 au 7 juillet 2024, réuni des acteurs clés du secteur venus du monde entier.

A cette occasion, le président de la CAOPA et président de AFRIFISH-Net, Gaoussou Gueye a prononcé un discours dans lequel il a rendu Hommage à Chandrika Sharma, rappelé l’urgence de la situation climatique et surexploitation des ressources ; appelé à l’action pour la mise en œuvre des Directives.

 

M. il a aussi mis en avant l’importance de reconnaître les droits fonciers des femmes dans la pêche artisanale, tant pour leurs activités en mer que sur terre. Il souligne les difficultés qu’elles rencontrent notamment leur marginalisation dans les systèmes de gestion des ressources et leur exclusion fréquente des droits de propriété foncière.

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Lisez l’intégralité de son discours

 

Chers collègues de la pêche artisanale,

Mesdames et Messieurs,

En 2014, l’adoption des Directives pour une pêche artisanale durable a été l’aboutissement d’un long processus qui a vu la participation sans précédent de plus de 4000 femmes et hommes de la pêche artisanale du monde entier.

Une personne en particulier a travaillé sans relâche à l’élaboration participative et inclusive de ces directives, avec pour seul objectif d’améliorer les conditions de vie et de travail des pêcheurs artisans : feue Madame Chandrika Sharma, la Secrétaire exécutive du Collectif international d’appui à la pêche artisanale, ICSF.

Chandrika, dont l’avion MH370 de Malaysian Airlines a disparu en mars 2014, a dédié sa vie pour les communautés de pêche artisanale du monde entier. Chandrika était une personne énergique, joyeuse et simple. Elle avait une connaissance approfondie des enjeux de la pêche, nourrie par de nombreuses visites sur le terrain.

Dans les forums internationaux où j’ai eu l’occasion de la rencontrer, elle a toujours plaidé pour que les décideurs adoptent une approche basée sur les droits humains lorsqu’il s’agit de mener des politiques qui concernent le secteur de la pêche artisanale. À chaque occasion qui lui était donnée, elle a souligné le rôle et la contribution essentielle des femmes dans la pêche artisanale. Elle a aussi, sans relâche, rappelé que les pêcheurs ont une relation privilégiée avec la nature qui les entoure et sont les premiers concernés dans la conservation des écosystèmes, puisqu’ils en dépendent pour vivre.

Le fait que les directives pour la pêche artisanale durable soient dédiées à la mémoire de Chandrika Sharma est un bel hommage à son engagement.

Mais le plus grand hommage que nous pouvons lui rendre, c’est de nous battre, nous les hommes et les femmes de la pêche artisanale, tous et toutes ensemble, afin que ces directives soient mises en œuvre dans nos pays et permettent d’améliorer nos conditions de vie et de travail.

Ce sommet de la pêche artisanale, ainsi que le Comité des Pêches qui va suivre, va nous en donner l’occasion.

Pourquoi devons-nous nous battre ?

Parce que le temps presse. Le changement climatique qui érode nos côtes est littéralement à notre porte. Les effets de ces dérèglements du climat, conjugués à la surexploitation des ressources, fait que le poisson déserte nos filets, nos femmes n’ont plus de poisson à transformer et les populations de nos pays, privées de cet aliment essentiel, restent sur leur faim.

Plus que jamais, nous avons besoin de nous rassembler pour que des actions fortes soient mises en place d’urgence pour permettre à nos communautés de faire face aux difficultés et pour donner un avenir à nos enfants.

En 2022, 25 réseaux et organisations professionnelles de la pêche artisanale d’Afrique, d’Asie, du Pacifique, d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale, d’Amérique latine, d’Europe ont convenu ensemble d’appeler à l’action tous les gouvernements afin d’accélérer la mise en œuvre des Directives sur la pêche artisanale.

La CAOPA, qui rassemble des femmes et des hommes, professionnels de la pêche artisanale maritime et continentale, de 29 pays africains, s’y est associé.

Dans cet appel à l’action disponible en 7 langues (français, anglais, espagnol, arabe, portugais, swahili et wolof), nous demandons d’abord que l’accès des communautés de pêche artisanale aux ressources soit garanti et protégé. Cela peut se faire par exemple en réservant une zone à l’usage exclusif de la pêche artisanale.

Dans ce contexte, nous reconnaissons que les aires marines protégées peuvent être des moyens efficaces pour restaurer et conserver la biodiversité et soutenir les communautés côtières qui dépendent de la pêche pour leur subsistance et leur sécurité alimentaire.

Lors de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité, les États ont adopté l’objectif de déclarer 30 % des terres et des océans du monde comme zones protégées d’ici 2030. Une initiative baptisée 30 x 30. Cependant, pour nous, le succès de l’initiative 30 x 30 va dépendre d’approches participatives et transparentes pour localiser ces zones et élaborer des règles sur les activités qui y sont autorisées.

Historiquement, à travers des systèmes traditionnels, la pêche artisanale a été la première à prendre des mesures de protection de zones côtières fragiles ou de zones de reproduction du poisson. Ces mesures, comme l’interdiction de pêcher dans certaines zones, ou pendant certaines saisons, étaient bien respectées par les membres de la communauté et ont fait leurs preuves pour la conservation des écosystèmes. Les communautés de pêche ont donc, pour beaucoup, une expérience riche et variée de conservation de la nature. Dans les discussions sur ce thème qui se passeront lors du Comité des Pêches de la FAO, il est important que cette expérience soit reconnue et valorisée – nos États doivent reconnaître les communautés de pêche artisanale comme des partenaires actifs de toute initiative de conservation, y compris les aires marines protégées.

Mais, pour nous, les droits d’accès dans le domaine de la pêche n’incluent pas seulement le droit d’accéder aux ressources halieutiques, mais aussi le droit d’accéder à la terre en zone côtière. Ceci est particulièrement important pour les femmes de la pêche artisanale.

La prise en compte des droits fonciers de ces femmes nécessite d’examiner leurs besoins d’accès à la fois au niveau de la mer pour leurs activités de récolte et capture, et à la terre, pour leurs activités lors du débarquement des captures, de la transformation et la commercialisation.

Les questions de foncier concernant le logement sont également importantes : la distance entre le logement et le lieu d’activité peut affecter les conditions de travail et de vie des femmes.

Dans beaucoup de régions du monde, les droits fonciers des communautés côtières de pêche ne sont reconnus que de manière marginale. Les femmes sont particulièrement vulnérables car elles détiennent rarement des droits de propriété foncière.

Elles sont aussi souvent exclues des systèmes de gestion pour l’accès aux ressources de pêche et sont dans l’impossibilité, dans beaucoup de cas, d’hériter de droits de propriété ou de droits fonciers.

Une autre priorité de l’appel à l’action lancé en 2022, c’est la nécessité que la pêche artisanale soit reconnue comme un secteur essentiel à protéger lorsque nos gouvernements discutent de la promotion de l’économie bleue.

Actuellement, en Afrique comme ailleurs dans le monde, la pêche artisanale est de plus en plus confrontée à la compétition avec d’autres secteurs de l’économie bleue plus puissants, pour l’occupation des espaces littoraux, en mer et à terre. Un de mes collègues a parlé de la « peur bleue que cette économie bleue inspire aux pêcheurs ».

Alors que les hommes et les femmes de la pêche artisanale sont, en nombre, les utilisateurs les plus importants des ressources de l’océan, ils sont marginalisés dans les stratégies d’économie bleue de nos pays.

Nous ne pouvons pas survivre si nous devons rivaliser avec des secteurs puissants et polluants qui détruisent l’environnement marin et côtier, comme l’exploitation pétrolière et gazière offshore, le développement anarchique du tourisme dans les zones côtières, la surexploitation de nos ressources par la pêche industrielle, l’aquaculture intensive en zone côtière.

Ces activités industrielles réduisent nos espaces de vie, provoquent la pollution et la destruction de l’environnement côtier qui risquent d’entraîner la mort de notre secteur.

En termes de stratégies pour le développement de l’économie bleue, les organisations signataires de l’appel à l’action demandent aux gouvernements d’adopter une approche de précaution.

Ne donnons pas le feu vert à une économie bleue destructrice !

Pour ce faire, nous demandons aux gouvernements de ne pas autoriser de nouvelles utilisations des océans susceptibles d’avoir un impact négatif sur les écosystèmes et les communautés qui en dépendent pour leur subsistance.

Lorsqu’un nouveau projet d’exploitation des ressources océaniques est mis sur la table, il revient aux gouvernements d’organiser des études d’impact social et environnemental indépendantes dans la plus grande transparence et avec la participation des communautés côtières concernées.

Nous connaissons tous des exemples où de puissantes entreprises bien connectées aux pouvoirs en place – compagnies pétrolières, groupes hôteliers, sociétés de pêche industrielle, propriétaires d’usines côtières – ont porté atteinte aux communautés côtières en toute impunité. Cela ne peut plus continuer.

C’est pourquoi, dans la stratégie pour l’économie bleue, nous insistons pour que les gouvernements soient tenus de mettre en place des mécanismes transparents pour la résolution des conflits entre les utilisateurs des espaces maritimes, y compris la pêche artisanale, ainsi que des mécanismes administratifs et judiciaires pour réparer les dommages causés aux communautés côtières.

Voilà quelques-unes des priorités mises en avant dans cet appel à l’action lancé par des professionnels en 2022, afin d’accélérer la mise en œuvre des Directives pour une pêche artisanale durable.

Je suis bien conscient que de nombreuses autres initiatives ont été prises par les professionnels aux niveaux local, régional, international et je vous invite toutes et tous à les partager comme je viens de le faire afin que nous puissions nous accorder sur des priorités communes, que nous pourrons défendre tous ensemble et avec les autres professionnels de la pêche artisanale qui ne sont pas encore ici représentés.

Pour que nos actions soient couronnées de succès, nous avons besoin d’alliés, en particulier au niveau de la société civile. Mais là aussi, cela ne doit pas se faire n’importe comment. Il y a des règles que nous souhaitons que nos partenaires respectent. La plus importante peut-être, c’est que ce sont les hommes et femmes de la pêche artisanale qui doivent parler pour eux-mêmes.

Car qui mieux que nous connait la pêche? Personne !

Nous ne devons pas laisser d’autres associations d’appui, ONG, parler à notre place. Nous sommes assez forts, assez informés, assez confiants pour prendre la parole nous-mêmes lorsqu’il s’agit de défendre notre avenir.

De la même façon, rien ne devrait être décidé pour nous, sans nous.

Combien de rencontres sur la pêche artisanale sans que des hommes et des femmes professionnels de la pêche artisanale soient présents ?

Combien de conférences sur la pêche artisanale où les débats se font exclusivement en anglais, marginalisant la plupart des communautés de pêche artisanale?

Cela doit changer et nous pouvons – nous devons – l’exiger des organisations qui veulent se ranger à nos côtés et nous soutenir.

Je voudrais terminer par une réflexion sur le dixième anniversaire des Directives que nous avons fêté au niveau de la CAOPA, via l’organisation d’un webinaire. Même si la pêche artisanale est aujourd’hui mieux prise en considération au niveau international, dans les Objectifs de Développement durable notamment, il nous faut constater que les Directives ne sont pas encore suffisamment connues au niveau des communautés de pêche artisanale.

Il est de notre responsabilité à tous, et de la responsabilité de nos gouvernements et de la FAO, que ces directives soient mieux connues, afin que le chemin qu’elles montrent redonne de l’espoir à nos communautés.

Je vous remercie !

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