Du 30 novembre au 2 décembre 2024, Dakar a accueilli un événement d’envergure internationale : le Panel sur la Pêche Illicite, Non Déclarée et Non Réglementée (INN), organisé dans le cadre du Projet de Renforcement de la Pêche en Afrique de l’Ouest par la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF). Cet atelier régional a rassemblé des experts, décideurs politiques et représentants des communautés de pêche pour évaluer les défis et solutions autour de ce fléau.
Lors de cet atelier, Gaoussou Gueye, président de la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche Artisanale (CAOPA), a tenu une intervention mettant en lumière les impacts dévastateurs de la pêche INN sur les pêcheries artisanales africaines, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des communautés côtières.
Son plaidoyer a souligné l’importance d’une approche inclusive, intégrant les pêcheurs artisans dans la lutte contre la pêche INN et appelant à des solutions adaptées au contexte socio-culturel africain. Une lecture essentielle pour comprendre les enjeux et les perspectives d’une gestion équitable et durable des ressources halieutiques.
👉 Découvrez l’intégralité de son intervention ici :
La lutte contre la pêche INN dans tous les types de pêche, y compris la pêche à petite échelle, est cruciale pour une gestion efficace de la pêche. Pour les pêcheries artisanales africaines, la pêche INN, en particulier les incursions de navires utilisant des engins destructeurs dans les zones côtières, tels que les chalutiers côtiers, reste un fléau.
Leur présence est directement liée à la surpêche et constitue donc un risque pour la sécurité alimentaire de nos populations. De plus, leurs opérations la nuit, toutes lumières éteintes, ont mené plusieurs fois à des collisions avec des pirogues qui ont fait de nombreux morts.
Pour lutter contre ces incursions, la surveillance participative est vantée depuis plusieurs décennies en Afrique, mais elle n’est pas définie légalement dans la plupart des pays et manque généralement de soutien administratif, logistique et financier.
Parmi les problèmes signalés par les pêcheurs impliqués dans la surveillance participative, on peut citer le manque d’embarcations, le fait que les pêcheurs doivent fournir leur propre carburant pour les sorties de surveillance et le manque fréquent de réaction des autorités lorsqu’il s’agit d’appliquer la réglementation aux bateaux identifiés par les pêcheurs artisans comme étant impliqués dans la pêche INN.
Cela signifie que les pêcheurs artisans qui tentent de défendre leurs pêcheries locales le font à leurs propres frais et en prenant des risques considérables, souvent sans aucune garantie que les autorités arrêteront effectivement les contrevenants, étant donné les pratiques de corruption répandues dans la pêche, qui permettent souvent aux contrevenants d’échapper à l’arraisonnement et aux sanctions.
Pour que le système fonctionne, les pêcheurs artisans doivent disposer d’un équipement adéquat leur permettant d’informer directement les autorités d’activités suspectes, et les rôles et responsabilités respectifs des pêcheurs et des autorités doivent être clairement définis.
Lorsque les bateaux impliqués dans la pêche INN sont arrêtés, ce sont souvent les équipages qui sont emprisonnés et restent parfois de nombreux mois dans des conditions inhumaines et sans pouvoir donner de nouvelles à leurs familles. Il y a plusieurs années, des bateaux ramasseurs embarquaient des pirogues à Saint Louis pour les amener pêcher en Sierra Leone ou au Liberia.
Parfois, les pirogues étaient amenées par ces bateaux dans des zones interdites. Si la marine arrivait, le bateau ramasseur s’échappait, laissant les marins pêcheurs se faire arrêter et emprisonner, avec leur matériel saisi et détruit.
Nous pensons que ce sont avant tout les propriétaires bénéficiaires des opérations de pêche INN, qui sont souvent asiatiques, européens, russes, qui doivent être durement sanctionnés, pas les pêcheurs embarqués.
Pour lutter contre la pêche INN dans la pêche artisanale, il est aussi nécessaire de concevoir et de mettre en œuvre des solutions adaptées aux contextes socio-économiques et culturels dans lesquels la pêche artisanale opère.
Cela signifie qu’il faut veiller à ce que la gestion informelle et traditionnelle qui existe dans de nombreuses pêcheries artisanales soit reconnue et prise en compte lors de l’élaboration de nouvelles réglementations. Dans certains cas, lorsque de nouvelles réglementations sont introduites sans consultation suffisante, les pêcheurs artisans qui font ce qu’ils ont toujours fait en viennent à être considérés comme des pêcheurs illégaux, des criminels.
Dans le passé, certains pêcheurs ont été victimes de violences pour avoir pêché dans leur zone de pêche traditionnelle, qui avait été déclarée zone fermée sans consultation. Cette situation a de graves conséquences pour les communautés, y compris les pêcheurs, les femmes transformatrices de poisson, et pour la sécurité alimentaire.
Pour éviter de criminaliser le comportement traditionnel des pêcheurs, la solution consiste à les impliquer dans la gestion de la pêche, y compris dans la conception et l’introduction de mécanismes de lutte contre la pêche INN dans la pêche artisanale. Les pêcheurs eux-mêmes peuvent contribuer à cette lutte, notamment en utilisant des technologies numériques peu coûteuses à bord des pirogues et sur les sites de débarquement, par exemple, pour enregistrer leurs prises et éviter ainsi que leur pêche ne soit considérée comme non documentée.
Gaoussou Gueye, Président CAOPA