Le monde célèbre la Journée Mondiale de la Pêche (JMP) ce 21 novembre 2022.
A cette occasion, le président de la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale (CAOPA), Gaoussou GUEYE a fait une déclaration dont nous livrons le teneur.
« Mesdames et Messieurs,
Les pêcheurs artisans sont les utilisateurs des océans les plus nombreux dans le monde. Des millions d’hommes, de femmes et de jeunes gagnent leur vie grâce à la pêche artisanale. Chaque jour, au prix de grandes difficultés, leur travail permet à des centaines de millions de personnes de se procurer du poisson, un aliment hautement nutritif, source essentielle de protéines, d’acides aminés, de minéraux et de vitamines. Et ce, même pendant la crise du Covid ! Nous nourrissons le monde. Nous sommes, en effet, trop grands pour être ignorés.
En cette Année Internationale de la Pêche et de l’aquaculture artisanales, pour donner un avenir digne et durable aux hommes et aux femmes de nos communautés, nous avons appelé nos gouvernements à se concentrer sur l’Objectif de Développement Durable 14.b, pour garantir l’accès aux ressources et aux marchés pour la pêche artisanale.
L’année dernière, à l’occasion de la Journée mondiale de la pêche, les membres de la CAOPA, représentant des organisations de pêche artisanale de 27 pays africains, ont convenu d’un ensemble de priorités, ancrées dans les directives de la FAO sur la pêche artisanale durable, qui donneront à la pêche artisanale la place qui lui revient au centre des politiques publiques d’exploitation et de conservation des océans.
Tout au long de cette année, les organisations de pêcheurs artisanaux du Pacifique, d’Europe, d’Amérique du Nord, du Sud et Centrale, d’Asie, ont rejoint la CAOPA pour un appel à l’action commun. Cet appel à l’action a été soutenu par de nombreuses organisations de la société civile, en particulier la Plateforme Africaine des acteurs non étatiques de la pêche, mise en place par l’Union africaine. Nous avons promu notre appel à l’action lors du Sommet UE-Afrique ; nous l’avons présenté, au Ghana, aux Ministres en charge de la pêche et de l’aquaculture des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ; nous l’avons présenté lors de la Conférence des Nations Unies sur l’océan à Lisbonne et lors de la 35ème session du Comité des pêches de la FAO.
Que demandons-nous donc dans cet appel à l’action ?
Tout d’abord, nous demandons aux gouvernements de garantir et de protéger l’accès des pêcheurs artisans aux ressources. Nous voulons avoir des droits d’accès exclusifs et protégés à la zone côtière. Pour assurer une gestion durable qui profite aux communautés, nous demandons que 100% de ces zones côtières soient placées sous cogestion.
Mais pour que la cogestion fonctionne, il faut que plusieurs conditions soient rencontrées.
Tout d’abord, les zones côtières doivent être interdites à la pêche industrielle. Dans de nombreux pays africains, nos pêcheurs doivent faire face à des bateaux de pêche industrielle, ou semi-industrielle, d’origine asiatique, russe ou européenne, qui pêchent les mêmes poissons que nous dans les mêmes zones que nous. Souvent, les bénéficiaires ultimes de ces opérations se cachent derrière le drapeau d’un État côtier africain. Il ne s’agit pas de pêche illégale. La plupart du temps, ces bateaux ont bien une licence de nos gouvernements, et ils l’utilisent pour détruire nos ressources et nos moyens de subsistance pendant que nos autorités ferment les yeux.
Dans les zones côtières, il est important que nos gouvernements garantissent qu’ils ne prendront pas de décision sur une nouvelle utilisation ou activité océanique, y compris la création de zones marines protégées, sans notre consentement libre, préalable et éclairé.
Nous ne voulons pas que les zones marines protégées soient décrétées sans consultation et empêchent les communautés de pêcheurs de poursuivre leurs activités traditionnelles du jour au lendemain. Nous connaissons suffisamment de cas dans des pays comme Madagascar, le Sénégal, le Kenya et la Côte d’Ivoire où les communautés contribuent à la protection des écosystèmes côtiers pour donner l’exemple de ce qui devrait être fait.
Enfin, pour que la cogestion soit efficace, des cadres juridiques spécifiques définissant clairement les rôles et responsabilités des autorités et des pêcheurs doivent être mis en place, et un soutien approprié doit être apporté aux pêcheurs pour qu’ils assument leur part de responsabilités. C’est le cas pour divers éléments de la cogestion, comme la surveillance participative. Il est bon de fournir aux pêcheurs des caméras et des dispositifs de géolocalisation pour documenter la présence de navires pratiquant la pêche INN et alerter les autorités, mais ils doivent être assurés que les autorités réagiront rapidement et prendront des sanctions dissuasives. Sinon, ils se mettent en danger en mer pour rien.
Notre appel à l’action se focalise aussi sur les femmes de la pêche artisanale sont présentes à toutes les étapes de la chaîne de valeur du secteur et constituent le maillon essentiel de l’acheminement du poisson vers les consommateurs. Mais leur travail n’est pas reconnu, leur contribution, y compris aux innovations, n’est pas valorisé et leurs conditions de travail et de vie sont désastreuses. Vous avez tous vu ces images de femmes qui travaillent dans la fumée pendant de longues heures, parfois avec leur bébé sur le dos. Qui d’entre vous, qui d’entre les décideurs, accepterait que sa mère, sa femme, sa fille travaille dans de telles conditions ?
Notre appel à l’action souligne la nécessité de donner la priorité aux investissements qui amélioreront les conditions de vie et de travail des femmes, tels que l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’évacuation des eaux usées, aux installations sanitaires sur les sites de transformation, à des logements décents, à des crèches à proximité des sites de transformation et à la formation à l’utilisation des nouvelles technologies.
Il est également crucial de garantir les droits fonciers des femmes sur les terrains où elles transforment le poisson, de fournir un accès au crédit pour soutenir l’innovation dans les techniques de transformation et de commercialisation, comme l’utilisation de fours FTT ou de l’énergie solaire pour la conservation et le transport du poisson. La pisciculture à petite échelle peut également devenir une source complémentaire de matière première pour les femmes de la pêche artisanale, lorsque le poisson est rare ou lorsque des mesures de gestion restrictives, comme une période de repos biologique, sont introduites.
La bonne gouvernance des activités d’exploitation des océans – ancrée dans la participation des parties prenantes, la transparence des processus décisionnels et la responsabilité envers les citoyens – est le fondement essentiel des réformes nécessaires pour garantir une pêche durable au profit des communautés côtières.
Mais si la bonne gouvernance est essentielle pour la pêche, elle l’est également pour d’autres activités d’exploitation des océans, telles que l’exploitation du pétrole et du gaz, l’extraction minière et le tourisme côtier. Nous ne cachons pas que nous sommes aujourd’hui préoccupés par la marginalisation de la pêche, et de la pêche artisanale en particulier, dans les stratégies d’économie bleue de nos pays.
Nous ne pouvons pas survivre si nous devons concurrencer des secteurs puissants, polluants et destructeurs de l’environnement marin et côtier, comme l’exploitation du pétrole et du gaz ou le tourisme côtier. Face à cette menace, nous appelons les gouvernements à adopter une approche de précaution. Ne donnez pas le feu vert à une économie bleue destructrice !
Nous appelons donc les gouvernements à développer, dans la plus grande transparence et avec la participation des communautés côtières affectées, des études d’impact social et environnemental indépendantes. Nous demandons également que des mécanismes de consultation soient mis en place, de manière à permettre une participation informée et active des communautés, ainsi que des mécanismes de résolution des conflits entre les utilisateurs des espaces maritimes. Enfin, nous constatons trop souvent que les communautés touchées par des projets pétroliers et gaziers, par exemple, n’obtiennent jamais réparation pour le préjudice subi. Cela doit changer, et les gouvernements doivent mettre en place des mécanismes judiciaires et administratifs de réparation dès le départ.
Enfin, je dois mentionner les impacts du changement climatique qui affectent déjà l’avenir de nos communautés. Si nous voulons que les jeunes hommes et les jeunes femmes puissent vivre de la pêche à l’avenir, des mesures doivent être prises pour les aider à faire face à l’impact du changement climatique. La gouvernance de la pêche doit inclure la réduction des risques de catastrophes et les interventions d’urgence, l’accès aux droits sociaux, tels que l’éducation, la santé et la sécurité sociale, et garantir des moyens de subsistance décents dépendant de la pêche. Des politiques et des plans spécifiques d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, y compris des mesures de restauration visant à garantir la santé des écosystèmes marins, ainsi que des mesures de réduction des risques de catastrophe et de réponse aux situations d’urgence, doivent être élaborés de manière participative.
Mesdames et Messieurs, ce sont les questions sur lesquelles nous voulons que nos gouvernements agissent. Nous sommes fermement convaincus qu’une action dans ces domaines permettra aux communautés de pêche artisanale durables de prospérer.
Cet appel à l’action n’est pas un appel désespéré, c’est un cri d’espoir. Et pour qu’il soit entendu de tous, je vous demande de le soutenir. »
Merci beaucoup.