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CAOPA : Une célébration, deux symboles, un avenir à défendre

La pêche artisanale africaine : Entre cri du cœur et appel à l’action

Novembre 2025, Gambie. – À Banjul, le sel de l’Atlantique se mêle aux échos des débats passionnés. La capitale gambienne accueille une double célébration : la Journée Mondiale de la Pêche et le 15ᵉ anniversaire de la Confédération Africaine des Organisations de Pêche Artisanale (CAOPA). Un retour aux sources symbolique, la CAOPA ayant été lancée ici même en 2010, un fait rappelé avec émotion par les pionniers de l’organisation. Quinze ans plus tard, le mouvement est revenu non seulement pour célébrer, mais pour sonner le tocsin. Le thème de l’année, résumé par la déclaration de la vice-présidente de la CAOPA, Mercy Mghanga, donne le ton : « Renforcer la pêche artisanale, c’est renforcer la vie. C’est protéger nos familles. C’est protéger l’Afrique. » Loin d’être de simples commémorations, les discours d’ouverture ont dressé un portrait lucide et combatif d’un secteur vital, à la croisée des chemins.

Le cœur battant de l’Afrique : plus qu’un secteur, des vies et des communautés

Mercy Mgahanga Vice-Présidente CAOPA
Mercy Mgahanga Vice-Présidente CAOPA

La pêche artisanale n’est pas une simple ligne dans un rapport économique ; c’est avant tout une réalité humaine, un capital bleu porté par des millions de femmes et d’hommes. Mercy Mghanga l’a exprimé avec une vision poignante :

« Quand je pense à la pêche artisanale africaine, je ne vois pas seulement un secteur. Je vois des visages. Je vois des femmes qui se lèvent avant l’aube pour transformer le poisson. Je vois des hommes qui affrontent la mer pour nourrir leurs familles. »

Cette vision humaine, loin d’être anecdotique, est le fondement d’une réalité économique incontournable. Comme l’a chiffré Lamine Diop, représentant

Lamine DIOP du ministère gambien de la pêche et des ressources en eau, ce secteur est l'« épine dorsale de l'économie » pour des pays comme la Gambie
Lamine DIOP du ministère gambien de la pêche et des ressources en eau

. Il a illustré ce point en précisant que le secteur contribue à « à peu près 12% » du PIB national et que, de manière significative, les débarquements artisanaux ont dominé les industriels entre 2015 et 2019. 

Élargissant la perspective à l’échelle du continent, le Dr Aboubacar Sidibé de la FAO-RAF a décrit une réalité socio-économique encore plus vaste : « des millions d’emplois directs et indirects, des familles qui vivent dignement de leur travail, et des traditions séculaires ». Il a également rappelé le rôle central de ce secteur pour la souveraineté alimentaire et la nutrition en Afrique.

Un espoir fragile : les multiples menaces sur la résilience côtière

Malgré sa vitalité, « cet espoir est fragile », a prévenu Mercy Mghanga. Les discours ont unanimement souligné les défis critiques qui menacent la survie même de la pêche artisanale.

Surexploitation et pressions environnementales : La surexploitation des ressources halieutiques est une préoccupation majeure partagée par le Dr Sidibé, Mercy Mghanga et Lamine Diop. À cela s’ajoutent les impacts croissants du changement climatique, un danger évoqué par les différents intervenants.

Dr Aboubacar SIDIBE FAO-RAF
Dr Aboubacar SIDIBE FAO-RAF

Marginalisation socio-économique : Le Dr Sidibé a pointé les accès souvent limités aux marchés et aux financements, ainsi qu’un manque persistant de reconnaissance sociale et économique pour les acteurs du secteur. Mercy Mghanga a abondé dans ce sens, déplorant que les voix des communautés soient « encore trop fréquemment ignorées ».

Défis de gouvernance : La faiblesse des cadres de gouvernance et de transparence et la menace persistante de la pêche illégale sapent les efforts de durabilité et privent les communautés de leurs moyens de subsistance légitimes.

Forger une alliance pour la transparence : acteurs et stratégies

Face à ces menaces, la rencontre de Banjul a révélé une nouvelle convergence stratégique : l’activisme de terrain de la CAOPA, le poids institutionnel de la FAO et la force technologique de Global Fishing Watch, tous unis autour de la nécessité d’une gouvernance participative menée par les communautés.

Le soutien stratégique de la FAO

En réponse directe à la « faiblesse des cadres de gouvernance » qu’il a lui-même soulignée, le Dr Sidibé a détaillé l’engagement de la FAO. L’organisation agit sur plusieurs fronts pour un impact concret : la promotion des Directives volontaires (VGSSF), l’appui aux politiques inclusives, le soutien à la cogestion, mais aussi « la promotion de la réduction des pertes post-capture » et « le développement d’outils numériques […] permettant aux pêcheurs […] d’accéder à des prix plus équitables ».

Global Fishing Watch et l’impératif de la transparence

Dame Mboup Global fishing Watch
Dame Mboup Global fishing Watch

Pour Dame MBOUP, programme manager Afrique de Global Fishing Watch, la transparence n’est pas une option mais une « nécessité stratégique » pour lutter contre la pêche illégale. L’organisation fournit des technologies pour rendre l’activité de pêche plus visible, mais avec une conviction claire : la technologie n’est efficace qu’avec une « participation réelle et active des communautés artisanales », les véritables gardiennes de leurs ressources.

L’engagement de l’État gambien

Portant la voix de son gouvernement, Lamine Diop a affirmé l’engagement de la Gambie à travailler avec tous les acteurs pour assurer la « co-gestion » des ressources. Cette position réaffirme la volonté de l’État hôte de placer la pêche artisanale au cœur de sa stratégie de développement durable.

Quinze ans de combat : La CAOPA, mouvement panafricain de la dignité

La CAOPA n’est pas une simple institution, c’est « un mouvement. Un mouvement fait de cœur, de volonté et de dignité », comme l’a défini Mercy Mghanga. En quinze ans, elle est devenue la voix incontournable des pêcheurs artisans du continent. Dame MBOUP de Global Fishing Watch lui a rendu un vibrant hommage : « Nous tenons à rendre un hommage appuyé à cette organisation panafricaine… ». Ses réalisations majeures incluent :

La défense des droits des pêcheurs artisans ;

La promotion de la gouvernance participative ;

Le plaidoyer pour une meilleure protection des zones de pêche artisanale ;

La valorisation du rôle des femmes dans la transformation et la distribution du poisson ;

Le renforcement du leadership communautaire ;

La construction de ponts entre les acteurs locaux, nationaux et internationaux.

Francisco Mari - PPM
Francisco Mari – PPM

Cet impact a fait de la CAOPA, selon les mots du Dr Sidibé, « une organisation partenaire essentielle dans la promotion et la défense de la pêche artisanale africaine » pour des institutions comme la FAO.

Au nom des partenaires classiques de la CAOPA, notamment SSNC, CAPE et Bread for the World, Francisco Mari a déclaré : « En célébrant ces quinze années d’existence, je veux saluer la CAOPA pour ce qu’elle a réellement apporté au continent : une voix forte, cohérente et déterminée pour les pêcheurs artisanaux africains. La réélection de son comité exécutif montre combien son engagement reste solide, et combien son rôle est devenu indispensable pour défendre la transparence, la collaboration et la justice dans le secteur de la pêche. »  

Tournés vers l’avenir : Un Appel à l’Action pour la prochaine décennie

Cette célébration n’est pas une fin en soi, mais un tremplin pour l’avenir. L’objectif concret de la rencontre, a annoncé Mercy Mghanga, est d’« écrire ensemble une Déclaration qui devra guider l’avenir de la pêche artisanale sur tout le continent ».

Pour la prochaine décennie, le Dr Sidibé appelle à « unir nos forces, valoriser nos savoirs, et construire ensemble un avenir auquel nos mers, nos rivières et nos communautés prospèrent en harmonie ». 

Cet agenda repose sur trois piliers : premièrement, fortifier la gouvernance par une transparence radicale ; deuxièmement, sécuriser les droits des communautés en garantissant un accès équitable aux ressources ; et troisièmement, bâtir la résilience face aux chocs inévitables du changement climatique. 

Dans cette optique, Global Fishing Watch s’est engagé à continuer de fournir des « outils technologiques et analytiques accessibles à tous ».

Salle de conférence BJL
Salle de conférence BJL

De Banjul, un horizon bleu, équitable et durable pour l’Afrique

La célébration des 15 ans de la CAOPA à Banjul marque un tournant. C’est le signal d’une organisation qui a atteint une maturité politique et une capacité de mobilisation sans précédent. Plus qu’une simple commémoration, l’événement est, comme l’a martelé le Dr Sidibé, un véritable « appel à l’action ». Un appel à transformer les paroles en politiques concrètes, la reconnaissance en droits effectifs, et la fragilité en résilience durable. La conviction, exprimée avec force par Mercy Mghanga, résonne comme une promesse pour l’avenir : « Nous avons la force de transformer l’histoire. Nous avons la force de protéger nos ressources. Nous avons la force de défendre notre avenir. »

Depuis Banjul, Mamadou Aliou DIALLO

 

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