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Accord de l’OMC sur la pêche : Chance ou mirage pour les communautés côtières africaines ?

Un accord historique, une bataille inachevée

Avec plus d’un tiers des stocks mondiaux de poissons surexploités, la pression sur les océans est à son comble. L’entrée en vigueur imminente de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche, fruit de vingt ans de négociations, est saluée comme une victoire historique. Pourtant, pour les communautés de pêche artisanale en première ligne, cet accord ne s’attaque qu’aux symptômes d’un mal bien plus profond. Dans cet article, nous décryptons en 6 points clés ce que cet instrument signifie concrètement, ses limites et les prochaines étapes importantes pour l’avenir des communautés de pêcheurs.

Pourquoi cet accord est une étape majeure

L’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche est un traité international qui encadre l’usage des fonds publics dans le secteur halieutique. Adopté en juin 2022, il entrera en vigueur dès que deux tiers des membres de l’OMC auront finalisé leur ratification, un seuil qui devrait être atteint prochainement.

Cet accord vise à éliminer les formes de soutien public considérées comme les plus dommageables pour les ressources mondiales. Il cible trois pratiques précises :
• la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN),
• la pêche exercée sur des stocks déjà identifiés comme surexploités,
• la pêche non réglementée en haute mer.

Pour analyser les prochaines étapes du processus, un webinaire a été organisé le 06 novembre par la CAOPA, RiseUp, la coalition Stop Funding Overfishing et CAPE. L’événement a réuni plus de 115 participants : représentants de communautés de pêche artisanale, experts techniques, acteurs institutionnels et membres de l’OMC. Les échanges ont porté sur la mise en œuvre opérationnelle de l’accord, l’état des discussions à Genève et les conséquences concrètes pour les communautés de pêche artisanale, en particulier en Afrique.

L’accord ne s’oppose pas au soutien à la pêche ; il vise à réorienter ce soutien vers la durabilité“, a défendu Florencia Sarmiento et son collègue Tristan Irschlinger, de l’Institut international du développement durable (IISD).

Jonathan Werner, du secrétariat de l’OMC et directeur du Fonds pour la pêche, a rappelé le rôle central du mécanisme qu’il dirige. Il a expliqué que le fonds « fournit une assistance technique et des subventions pour le renforcement des capacités » et a précisé que le premier appel à propositions venait de se clôturer, avec près d’une centaine de candidatures reçues.

Les enjeux pour la pêche artisanale : Mettre fin à une concurrence déloyale

Chaque année, des dizaines de milliards de dollars de subventions publiques permettent aux flottes industrielles d’acheter plus de carburant, de construire des navires plus grands et de pêcher plus loin et plus longtemps. Cette capacité de pêche artificielle crée une pression immense sur les ressources marines, avec des conséquences directes pour les pêcheurs artisans. Or, les pays en développement, dont beaucoup en Afrique, représentant les deux tiers de la capture marine mondiale, sont en première ligne de cette concurrence déloyale.

Pour des régions comme l’Afrique de l’Ouest, où la compétition sur des stocks partagés comme la sardinelle est un enjeu de stabilité régionale, l’impact est concret : diminution drastique des prises, augmentation des coûts d’exploitation et menace directe sur la souveraineté alimentaire de nations entières, du Sénégal au Ghana.

 Djalikatou Cherif Haidara, cellule des jeunes de la CAOPA a déclaré : “Le coût humain de ces subventions néfastes a également été évoqué : la pression sur les communautés côtières africaines, la diminution des prises locales et les difficultés rencontrées par les femmes dans les activités de transformation et de commercialisation.

Le défi principal : Ce que l’accord ne règle pas (encore)

Le “chaînon manquant” de cet accord est majeur. L’instrument actuel opère comme un traitement chirurgical sur des cas avérés – pêche illégale ou sur stocks effondrés – mais il laisse intact le moteur principal de la crise : les milliards de dollars de subventions (carburant, construction navale) qui alimentent la surcapacité des flottes industrielles et préviennent la surpêche avant même qu’elle ne soit déclarée.

Des négociations supplémentaires, connues sous le nom de “Fish 2”, sont en cours pour traiter ce problème structurel. Cependant, elles sont actuellement au point mort, bloquées notamment par les positions divergentes de pays clés comme l’Inde et les États-Unis.

Selon la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA), une mise en œuvre mal orientée de l’accord actuel comporte plusieurs risques :

  • Surestimer l’accord actuel alors que les subventions les plus nocives pour la pêche artisanale persistent.
  • Utiliser les règles de l’OMC pour réduire le soutien légitime et nécessaire à la pêche artisanale (infrastructures, sécurité, formation).
  • Marginaliser les femmes des activités post-récolte dans les réformes nationales des subventions.

Il reste encore à s’attaquer aux subventions véritablement problématiques pour nous communautés de pêche artisanale : celles qui soutiennent la surcapacité de la pêche industrielle, financée par des fonds publics, qui alimente la surpêche et menace notre avenir“, craint Djalikatou Cherif Haidara.

Les bénéfices attendus : Une opportunité

Si l’accord est mis en œuvre de manière juste et ambitieuse, il peut générer des bénéfices concrets pour les communautés côtières. Les principales améliorations attendues sont :

  • Une meilleure gestion des pêches et une réduction significative de la pêche INN.
  • Une plus grande transparence sur les subventions accordées par les États, permettant une meilleure redevabilité.
  • La reconstitution progressive des stocks de poissons, sécurisant ainsi les moyens de subsistance pour les générations futures.
  • Une occasion de réorienter les fonds publics vers des “biens publics” essentiels à la pêche artisanale : sécurité en mer, chaînes du froid, infrastructures résilientes et cogestion participative.

Pour accompagner ce processus, un Fonds pour la pêche de l’OMC, doté d’environ 18 millions de dollars, a été créé. Son objectif est de fournir une assistance technique aux pays en développement pour des réformes ciblées : mise à jour des cadres législatifs, amélioration des systèmes de gestion des pêches (FIMS), renforcement de la collecte de données sur les stocks, et élaboration de plans nationaux contre la pêche INN. Les pêcheurs ne peuvent pas accéder directement à ce fonds, mais en tant que bénéficiaires finaux, leur engagement auprès des autorités nationales est essentiel pour que les projets financés répondent à leurs besoins.

L’accord peut être un catalyseur pour des réformes institutionnelles vers une pêche responsable et durable“,  expplique Sebastian Mathew, Conseiller indépendant.

La CAOPA : “Un premier pas, mais le combat continue”

Pour les organisations de pêche artisanale, l’accord est une avancée partielle mais insuffisante. La priorité absolue est de conclure les négociations “Fish 2” pour mettre fin aux subventions qui alimentent la surcapacité industrielle. Elles exigent une participation réelle aux processus de mise en œuvre nationaux, une transparence totale des informations (y compris dans les langues locales) et un alignement strict des réformes sur les Directives de la FAO pour une pêche artisanale durable.

PPour le secrétaire général de la CAOPA, Dawda Saine,L’accord actuel de l’OMC est un point de départ, pas une solution. […] Les pêcheurs à petite échelle doivent être consultés lors de la prochaine phase des négociations sur la surcapacité et la surpêche.”

Les Experts : “Un cadre technique pour rediriger le soutien”

Du point de vue des négociateurs et des experts techniques, l’accord ne vise pas à interdire tout soutien public, mais à le réorienter vers la durabilité. Il interdit les subventions dans des situations spécifiques (pêche sur un stock effondré) plutôt que des types de subventions (comme le carburant). Ils soulignent que le succès de l’accord dépendra de deux facteurs : la volonté politique des gouvernements à mettre en œuvre ces règles et la conclusion des négociations “Fish 2”.

“L’accord ne s’oppose pas au soutien à la pêche ; il vise à réorienter ce soutien vers la durabilité”, précise Florencia Sarmiento, IISD.

Les États : “Le devoir de mise en œuvre”

La balle est dans le camp des États, qui doivent désormais traduire leurs engagements en actes. La CAOPA et ses partenaires exigent une mise en œuvre transparente et participative, appelant les gouvernements à publier des listes claires des subventions néfastes, à garantir que les informations soient accessibles en langues locales, et à intégrer les organisations de pêcheurs artisans et les groupements de femmes dans les comités nationaux de suivi pour garantir un processus participatif et équitable.

Pourquoi le moment est décisif : De Genève aux filets de pêche locaux

L’accord étant sur le point d’entrer en vigueur, la balle est dans le camp des pays. C’est au niveau national que ses promesses se transformeront (ou non) en bénéfices concrets pour les communautés. L’encre du traité doit maintenant se traduire en actions sur le terrain, depuis les ministères jusqu’aux quais de débarquement.

Parallèlement, la prochaine conférence ministérielle de l’OMC sera un moment essentiel pour relancer la dynamique des négociations “Fish 2”. Conclure un accord sur la surcapacité reste le véritable enjeu pour l’avenir de la pêche artisanale et la santé des océans.

Face à cette double échéance, les organisations de la pêche artisanale ont un rôle historique à jouer. Il est impératif qu’elles s’engagent auprès de leurs gouvernements pour :

  • Participer aux consultations nationales et aux évaluations des besoins afin de faire entendre leur voix.
  • S’assurer que les priorités de la pêche artisanale (sécurité, infrastructures, cogestion) sont intégrées dans les plans nationaux de mise en œuvre.
  • Influencer la position de leur pays dans les négociations “Fish 2” pour exiger la fin des subventions à la surcapacité industrielle.

Transformer l’encre en progrès

L’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche est un outil puissant, mais incomplet. Sa véritable valeur ne se mesurera pas à sa signature à Genève, mais à sa capacité à changer les choses sur le terrain. Cela dépendra de la mobilisation des acteurs de la pêche artisanale pour exiger une mise en œuvre juste et l’aboutissement des négociations sur la surcapacité. La prochaine décennie montrera si cet accord a permis de rééquilibrer les forces entre pêche industrielle et artisanale, ou s’il n’a fait que panser les symptômes sans guérir la maladie de la surpêche subventionnée.

Pour  Djalikatou Cherif Haidara de la CAOPA, “l’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche ne doit pas légitimer les injustices que les pêcheurs artisans et les femmes de la pêche subissent depuis des décennies ; il doit devenir un instrument pour les corriger.

Mamadou Aliou DIALLO

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