Details article

Admin362628 Views

Donner la parole aux femmes de la pêche artisanale africaine : un moment fort au Parlement européen

Bruxelles, 4 juin 2025 – Une date à retenir pour les défenseurs de la justice bleue. Ce mercredi, dans une salle du Parlement européen, des voix trop longtemps marginalisées ont enfin occupé l’espace : celles des femmes africaines de la pêche artisanale.

Co-organisé par la Coalition pour une pêche équitable (CFFA) et plusieurs eurodéputé·es (Mme Mélissa Camara, Mme Emma Fourreau, M. Eric Sargiacomo et M. Paulo do Nascimento Cabral), cet événement avait un objectif simple mais ambitieux : mettre en lumière le rôle vital mais invisibilisé des femmes dans les accords de pêche entre l’Union européenne et les pays africains.

Parmi les intervenants, trois figures issues directement du terrain ont livré des témoignages puissants :

  • Raïssa Nadège Leka MADOU, transformatrice de poisson en Côte d’Ivoire, membre de la CAOPA.
  • Nancy ONGINJO-RAMKALAWAN, pêcheuse aux Seychelles et présidente de la SFBOA
  • Papa CÁ, pêcheur et leader coopératif en Guinée-Bissau

Leurs récits ont touché, interpellé, et surtout remis en question les pratiques actuelles.

 “Tout se transforme. Mais encore faut-il qu’on nous donne les moyens.”

Nancy ONGINJO-RAMKALAWAN
Nancy ONGINJO-RAMKALAWAN

Nancy Onginjo, issue d’un archipel dont la culture est profondément liée à la mer, décrit avec calme mais fermeté un secteur dans lequel les femmes innovent, transforment, valorisent le poisson, mais restent absentes des espaces décisionnels.

Les jeunes femmes n’envisagent même pas ce secteur pour y travailler. Pourtant, nous, on innove. On transforme le poisson en burgers, en saucisses, en cuir, en bijoux même. Rien ne se perd dans le poisson.”

Ce constat d’innovation s’accompagne d’une demande claire :

Nous avons besoin d’assistance financière. Ce n’est pas une faveur, c’est un investissement.”

Manque d’équipements, de financement, de formation…

Raïssa Madou a, elle aussi, dénoncé un paradoxe frappant : alors que les femmes sont centrales dans la chaîne post-capture, elles manquent cruellement de moyens.

Pas de chaîne du froid, pas de réfrigérateurs solaires, pas de fours adaptés… Résultat ? Le poisson est vendu à bas prix, et les pêcheurs repartent pêcher sans relâche. C’est un cercle vicieux.”

Pour elle, si on investit dans la chaîne du froid, on investit aussi dans la conservation et la conservation des océans. Néanmoins, elle prévient :

Raïssa Nadège Leka MADOU
Raïssa Nadège Leka MADOU

On donne parfois des équipements qui ne correspondent pas à nos besoins. Si on n’écoute pas les femmes, on gaspille l’argent et on ne résout rien.”

Autre urgence : l’accès à la matière première. Selon Raïssa, sans accès à du poisson à transformer et à vendre, les femmes ne peuvent pas investir, ni sécuriser leurs revenus :

Sans poisson aussi, nous ne pouvons pas travailler. Et c’est cette ressource-là qui nous permet de faire face aux défis du quotidien.”

 

Papa CÁ
Papa CÁ

Papa Cá, pêcheur de Guinée-Bissau, l’affirme sans détour : “Les femmes préfinancent nos sorties en mer. Elles sont présentes après la capture, mais sans elles, la pêche artisanale s’arrêterait.”

Il plaide pour un meilleur accès au poisson pour les transformatrices, notamment en demandant que les navires industriels soient obligés de débarquer une partie de leurs prises pour les marchés locaux.

Raïssa insiste aussi sur un point souvent ignoré : la sécurité et la dignité sur les lieux de travail.

Les femmes transforment le poisson avec un bébé dans le dos. Il faut de l’eau potable, des installations sanitaires. On parle de droits humains de base.”

Du côté européen ?

Les représentants de la Commission ont reconnu les limites du système actuel.

“Il est plus difficile d’entrer en contact avec les femmes du secteur post-capture”, a admis un représentant de la Commission.
Mais ils ont aussi affirmé leur volonté de changer les choses :  “Dans les futurs accords de partenariat, la consultation des acteurs locaux – y compris les femmes – sera une priorité.”

Vanya Vulperhorst LDAC
Vanya Vulperhorst LDAC

Vanya Vulperhorst, vice-présidente du et du Conseil consultatif de la pêche lointaine (LDAC), a présenté un document stratégique élaboré avec Afrifish-Net :
Aborder le rôle des femmes dans la pêche – l’exemple des accords de partenariat avec l’UE, un outil de plaidoyer qui appelle à intégrer la dimension genre dans chaque étape des négociations.

Un appel à un changement structurel, pas symbolique

L’événement n’était pas qu’un échange. C’était un moment de vérité.
Les femmes ne demandent pas la charité. Elles exigent une place à la hauteur de leur contribution.
Qu’il s’agisse de transformer un poisson presque avarié en produit de grande valeur, ou de former d’autres femmes à l’innovation, elles sont prêtes. Ce qui manque, ce sont les matières premières, des moyens et des infrastructures adéquats, l’écoute, et un cadre politique qui les fait participer aux prises des décisions qui les concernent.

Et comme l’a résumé Papa Cà : “Il faut former les femmes à chaque étape, du poisson frais… jusqu’au poisson qui commence à pourrir. Parce que rien ne se perd. Tout peut se transformer.”

Mettre les femmes au centre de la politique de pêche entre l’UE et l’Afrique, ce n’est pas une mer à boire. C’est une condition de justice, d’efficacité et de durabilité.

Aliou DIALLO

Comments are closed