Journée des Femmes en Gambie : les femmes de la pêche artisanale plaident pour un avenir durable
Le soleil vient à peine de se lever sur Banjul, mais déjà, les premiers chants d’oiseaux s’élèvent du jardin de l’hôtel Bakadaji. Ce matin du 24 avril 2025, elles sont là — femmes transformatrices, mareyeuses, ostréicultrices, militantes — venues de 15 pays du continent pour faire entendre leur voix. Certaines ont traversé les frontières, d’autres sont descendues des pirogues à peine rentrées du large. Toutes portent en elles une même force : celle de celles qu’on ne voit pas, mais sans qui aucun poisson ne nourrit les villes.
La Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale (CAOPA), a choisi cette Journée internationale des femmes pour rendre visible ce qui est trop souvent ignoré : le rôle fondamental des femmes dans les chaînes de valeur halieutiques artisanales africaines.
Le thème choisi est: « Les femmes de la pêche artisanale et les systèmes alimentaires en Afrique : quels défis ? »

Cette célébration est bien plus qu’un événement symbolique.
C’est un rassemblement stratégique, un temps de mémoire, un espace de transmission.
Pendant trois jours, entre discours puissants, expositions de produits halieutiques, ateliers thématiques et hommages bouleversants, les femmes de la mer ont affirmé, une fois de plus, qu’elles ne demandent pas la charité, mais la reconnaissance, les moyens et la place qu’elles méritent dans les politiques, les marchés et les récits.
Un moment fort de reconnaissance et de mobilisation continentale
À Banjul, ce 24 avril, il ne s’agissait pas seulement de célébrer une journée internationale — il s’agissait de rendre hommage à une réalité qui anime, nourrit et soutient des milliers de familles africaines : le travail quotidien des femmes de la pêche artisanale.
Organisée par la CAOPA en collaboration avec ses partenaires Pain pour le Monde, SSNC et NAAFO cette édition 2025 de la Journée Internationale des Femmes avait pour ambition de placer les femmes au cœur des politiques halieutiques et des systèmes alimentaires.
Ce choix n’est pas anodin : la Gambie est l’un des pays d’Afrique de l’Ouest où les femmes dominent les activités post-capture, de la transformation à la commercialisation des produits halieutiques. Ce pays est donc apparu comme un lieu symbolique, mais aussi stratégique, pour accueillir ce rassemblement à dimension continentale.
L’événement s’est déroulé dans une ambiance à la fois solennelle et fraternelle, mêlant cérémonies officielles, expositions artisanales, panels de réflexion et témoignages poignants, avec un seul mot d’ordre : faire entendre les voix des invisibles.
Des participantes venues de 15 pays pour faire entendre leurs voix
Pendant 72 heures, ce sont plus de 40 femmes leaders, transformatrices, mareyeuses et actrices communautaires, qui ont répondu à l’appel de la CAOPA. De la Mauritanie à la Guinée-Bissau, du Ghana au Bénin, de la Côte d’Ivoire au Sénégal, du Kénya au Seychelles, du Maroc à l’Ouganda, toutes sont venues porter le vécu de leur communauté, partager leur expertise et construire ensemble des solutions concrètes.
Dans la salle de conférence comme sous les tentes d’exposition, on a entendu des récits de courage, des anecdotes pleines d’humour, des réflexions stratégiques et des fortes propositions. À travers ces échanges, les femmes ont exprimé leur fierté, mais aussi leurs défis et leurs attentes. Elles ont dénoncé l’invisibilisation persistante de leur travail, les conditions précaires de transformation, l’absence d’accès aux financements, et leur exclusion des lieux de pouvoir de décision.
Mais elles ont aussi montré que l’union fait la force, et que la solidarité transnationale est un levier puissant pour renforcer la résilience des femmes de la pêche artisanale. L’organisation de cet événement a permis de renforcer les liens entre associations professionnelles, de valoriser les coopératives existantes et de jeter les bases de nouvelles initiatives collectives à l’échelle continentale.
Des discours marquants pour poser les enjeux
Dès l’ouverture de la journée, les mots n’étaient pas protocolaires — ils étaient puissants, porteurs de revendications, de réalités du terrain et de visions stratégiques pour le secteur.
C’est Mme Kadiatou Bangoura, transformatrice de poisson guinéenne et trésorière de la CAOPA, qui a donné le ton :
« Nous sommes le pont entre l’océan et le marché. Ce sont nous, les femmes, qui fumons, salons, séchons et vendons le poisson qui nourrit nos familles, nos villes et nos pays. »
Son message, lancé à l’attention des représentants des ministères et des partenaires techniques présents dans la salle, a résonné avec force. Les femmes ne demandent pas une faveur, elles exigent la reconnaissance de leur rôle essentiel dans les systèmes alimentaires et les économies locales.
La représentante de la FAO, Mme Khadija Diallo, a confirmé ce diagnostic. Dans un discours structuré et volontaire, elle a rappelé :

« Lorsqu’on investit dans les femmes, on investit dans des communautés plus fortes, dans des économies durables, et dans un système alimentaire plus résilient. »
Elle a souligné les barrières systémiques que subissent les femmes du secteur — l’accès limité aux ressources, l’absence de reconnaissance formelle, le manque d’infrastructures — et a mis en avant les réponses concrètes apportées par des projets tels que FISH4ACP, mis en œuvre en Gambie avec l’appui de l’Union européenne et du gouvernement allemand.
Les mots de la CAOPA et des femmes de terrain
Mais au-delà des institutions, ce sont les femmes elles-mêmes qui ont fait entendre la profondeur et la vérité de leur vécu. En prenant la parole sans filtre, elles ont brossé le portrait d’un métier rude, mais porteur de dignité.
« Nous travaillons dans la fumée, sans eau propre, sans chaîne du froid, sans financement… mais on nous exclut des décisions alors que nous sommes les premières à voir les signes d’alerte d’une mer malade. » – Kadiatou Bangoura

Le Directeur des Pêches de la Gambie, Momodou Sidibeh intervenant au nom du gouvernement hôte, a lui aussi reconnu cette réalité. Il a salué les efforts des femmes du secteur et annoncé l’intégration du genre dans la nouvelle politique nationale des pêches :
« Les femmes ne doivent plus être seulement des participantes dans la pêche artisanale. Elles doivent en devenir les propriétaires, les leaders, les architectes. »
Il a évoqué les progrès tangibles engagés par l’État gambien : soutien aux coopératives féminines, microcrédits via le projet PROREFISH, réformes réglementaires en cours, et mise en place du projet « Try Oyster » pour la sécurité des femmes ostréicultrices.
Autant d’engagements qui, s’ils sont suivis d’actes concrets, peuvent constituer une véritable rupture avec les politiques passées, souvent aveugles aux réalités genrées du secteur halieutique.
Une exposition vivante du savoir-faire féminin
Deux jours d’échanges, de couleurs et de senteurs
Dès les premières heures de la matinée du 25 avril, la place du Monument KMC de Serrekunda s’est transformée en un véritable marché vivant, à ciel ouvert, dédié aux produits de la mer travaillés par des mains de femmes.
Venues de toute l’Afrique de l’Ouest, les transformatrices ont installé leurs tables, leurs paniers, dans une atmosphère mêlant énergie, rires et odeurs salines.

On y trouvait :
- du poisson fumé à la méthode traditionnelle sénégalaise,
- des crevettes séchées, alignées avec précision,
- des huîtres récoltées dans les mangroves gambiennes,
Mais cette exposition n’était pas une simple vitrine. Chaque produit exposé racontait une histoire de savoir-faire, de transmission, d’adaptation et d’innovation.
Les démonstrations en direct, très appréciées du public, ont permis de valoriser des techniques ancestrales et modernes de transformation, de séchage solaire, de conditionnement local, ou encore de conservation sans réfrigération. Des stands interactifs ont également permis de discuter de la qualité sanitaire, de l’emballage, et de l’accès aux marchés formels.
Quand la transmission devient acte de résistance
Mais au-delà de l’aspect technique, cette exposition a été l’occasion pour les femmes de s’exprimer à la première personne, avec fierté et lucidité.
Dans une série de vidéos captées sur place, plusieurs transformatrices ont partagé ce que leur métier représente pour elles.

« Ce poisson fumé, c’est ma force. Il m’a permis de nourrir mes enfants, de les envoyer à l’école. C’est ma dignité. » – Khadija, transformatrice du Maroc.
« Je veux que les jeunes filles sachent qu’elles peuvent vivre de ce travail, mais avec plus de soutien que nous. » – Gnégné Dobora, Côte d’Ivoire
Ces témoignages ne sont pas que des récits personnels. Ils sont des prises de position assumées, des appels à l’investissement, à la formation, à la reconnaissance des femmes comme actrices économiques à part entière.
Car l’innovation, ici, ne se résume pas à la technologie. Elle est sociale, communautaire, culturelle. Elle se manifeste dans l’organisation en coopératives, dans l’amélioration des outils de fumage, dans la gestion collective des sites de transformation, dans la capacité à inventer des solutions locales face aux bouleversements climatiques et économiques.
L’exposition halieutique a ainsi montré que les femmes ne sont pas des bénéficiaires, mais des créatrices de valeur, des porteuses de solutions, des expertes invisibles qu’il est urgent d’écouter, de former et de financer.
Un hommage bouleversant à Antonia Adama Djalo
Une figure de combat, une mémoire collective

Il y a eu, ce 24 avril à Bakadaji, un moment suspendu.
Un silence que ni les discours ni les chants n’ont pu couvrir. Un silence habité, lourd de larmes, de souvenirs et de respect. Ce moment, c’était celui de l’hommage à Antonia Adama Djalo, vice-présidente de la CAOPA, disparue quelques mois avant la tenue de cette Journée Internationale des Femmes.

La salle s’est tue. Et ce n’est pas seulement une vice-présidente que la CAOPA a saluée, mais une sœur de combat, une militante acharnée, une femme de la mer, enracinée dans les réalités des plages et des marchés de Guinée-Bissau.
« Antonia n’était pas seulement une responsable. Elle était une passerelle entre les traditions de la pêche artisanale et les mutations du secteur à venir. » – Béatrice Gorez, CAPE
Son combat pour le travail décent, l’accès aux ressources, la reconnaissance des femmes, l’intégration des réalités locales dans les politiques régionales, faisait d’elle une voix incontournable, respectée de Bissau à Banjul, de Dakar à Abidjan.
Promesse de continuer la lutte
Lors de cette cérémonie d’hommage, la CAOPA, par la voix de son président Gaoussou Guèye, a tenu à honorer son engagement jusqu’au bout.
Un trophée de reconnaissance a été remis à sa famille, représentée par sa sœur, Anita Djaló Sani, dans un moment d’une grande dignité.

« Vous n’avez pas seulement représenté la CAOPA : vous avez apporté avec vous la chaleur, le respect, et l’amour d’une véritable famille professionnelle. »
« Sa mémoire vivra à travers vos actions, vos luttes, et tout ce que vous continuerez à faire pour que les femmes et les hommes de la pêche artisanale africaine aient la place et la dignité qu’ils méritent. » – Anita Djaló Sani
Dans les regards, il y avait des larmes. Dans les silences, de la reconnaissance. Et dans les applaudissements, une promesse collective : celle de ne pas laisser sa voix s’éteindre, de continuer à porter haut le flambeau qu’elle a tenu avec tant de courage.
La CAOPA a annoncé que le nom d’Antonia Adama Djalo serait inscrit dans la mémoire vivante de l’organisation, et que son combat serait poursuivi dans chaque action future, chaque programme, chaque plaidoyer.
À cet instant précis, la célébration s’est transformée en acte de transmission intergénérationnelle, en pacte moral entre celles qui ont ouvert la voie et celles qui poursuivront le chemin.
Une célébration, mais surtout une responsabilité
Trois jours.
Trois jours pour écouter, voir, ressentir.
Trois jours pour dire haut ce que tant de femmes vivent en silence depuis des décennies : l’invisibilité, l’injustice, mais aussi la fierté, la résistance et l’expertise.
En Gambie, les femmes de la pêche artisanale africaine ne se sont pas contentées d’être célébrées.
Elles ont pris la parole, elles ont posé leurs revendications, elles ont tendu la main à la jeunesse, elles ont regardé les décideurs droit dans les yeux.
Elles ont rappelé que sans elles, il n’y a pas de pêche durable, pas de sécurité alimentaire, pas d’économie bleue équitable.
L’émotion, les hommages et les témoignages ont laissé place à une conviction profonde :
le changement ne se décrète pas, il se construit — avec les femmes, pas à leur place.
Et désormais, la CAOPA le sait plus que jamais :
Chaque filet tiré, chaque poisson transformé, chaque coopérative soutenue, chaque droit arraché au silence est une victoire collective.
Mamadou Aliou DIALLO, de retour de Banjul
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