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L’Océan sous Haute Surveillance : Quand la technologie devient l’alliée des pêcheurs africains

Sur nos côtes, de Dakar à Maputo, l’océan n’est pas un décor de carte postale. C’est le garde-manger, le gagne-pain, l’âme de millions de nos concitoyens. La pêche artisanale, transmise de génération en génération, est au cœur de la sécurité alimentaire, de la vitalité économique et de l’identité culturelle de nos communautés. Chaque jour, des hommes et des femmes bravent la mer pour nourrir leurs familles, perpétuant un savoir-faire qui est le pilier de leur vie et de leur dignité.

Pourtant, ce trésor est en péril. Loin des côtes, une menace invisible, mais dévastatrice prend de l’ampleur : la surpêche et la pêche illégale. Favorisées par un manque de surveillance globale des activités en mer, ces pratiques non réglementées pillent les ressources marines, menacent la biodiversité et privent les pêcheurs locaux de leurs moyens de subsistance.

Trajectoire Navires -GFW
Trajectoire Navires -©GFW

L’océan, autrefois synonyme d’abondance, subit une pression immense qui met en danger son équilibre et l’avenir des peuples qui en dépendent.

 

Face à cette situation critique, un espoir émerge de l’alliance entre la tradition et l’innovation. La transparence, propulsée par des technologies de pointe, devient l’arme la plus puissante pour protéger nos océans. En rendant visible l’invisible, elle offre aux gouvernements, aux scientifiques et surtout aux communautés de pêcheurs les moyens de défendre leurs droits et de garantir une gestion juste et durable des ressources. C’est le début d’un nouveau chapitre, où la technologie se met au service des gardiens de la mer.

 

Pourquoi la transparence est une question de survie pour les océans africains ?

Les chiffres sont sans appel et dressent un portrait inquiétant de l’état de nos mers. Selon les Nations Unies, un tiers des principales espèces de poissons commerciaux dans le monde sont surexploitées. Plus grave encore, les activités humaines ont considérablement altéré deux tiers de l’environnement marin. Le cœur du problème est une forme d’aveuglement collectif : “Il n’y a pas d’image globale de toutes les activités humaines en mer et nous ne pouvons pas vraiment comprendre l’impact de l’humanité sur la vie sous l’eau.” Ce manque de visibilité est une véritable aubaine pour la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), qui prospère dans l’ombre et met en péril les écosystèmes.

Les conséquences pour l’Afrique

Pour le continent africain, ces menaces mondiales ont des répercussions directes et dramatiques. La pêche INN n’est pas une simple infraction administrative ; elle représente une attaque frontale contre la souveraineté des nations et la survie de leurs populations. En pillant les eaux côtières, elle menace directement la sécurité alimentaire de millions de personnes et fragilise les économies locales qui dépendent presque entièrement des produits de la mer. Pour les communautés de pêcheurs artisans, c’est une compétition déloyale et destructrice qui compromet leur avenir, leur vie et leur dignité.

La Transparence comme réponse stratégique

Dans ce contexte, la transparence n’est pas une option, mais une « nécessité stratégique ». En rendant les activités de pêche visibles et accessibles à tous, elle devient un levier puissant pour une meilleure gouvernance. La transparence permet de s’assurer que les règles sont respectées, que les ressources sont gérées de manière équitable et que les bénéfices de la pêche profitent réellement aux communautés locales. Elle est le fondement d’un système où la justice et l’équité peuvent prévaloir, protégeant à la fois les richesses marines et ceux qui en vivent.

Face à ce constat, une organisation internationale a décidé de mettre la révolution numérique au service des océans : Global Fishing Watch.

Global Fishing Watch : Un Œil Satellite pour Rendre Visible l’Invisible

Global Fishing Watch (GFW) est une organisation non gouvernementale (ONG) internationale dont la mission est de « créer et partager publiquement des connaissances sur l’activité humaine en mer ». Forte d’une communauté de plus de 90 000 utilisateurs, GFW s’appuie sur une triple approche :

L’innovation technologique pour traiter des volumes massifs de données satellitaires.

Les données ouvertes pour garantir un accès libre et gratuit à l’information.

La collaboration avec les États, les chercheurs et la société civile pour transformer ces données en actions concrètes.

Comment ça marche ?

Pour suivre les navires en mer, le programme manager Afrique de Global Fishing Watch, Dame MBOUP explique que GFW s’appuie principalement sur deux technologies complémentaires, qu’elle fusionne pour obtenir une vue d’ensemble.

AIS & VMS
AIS & VMS

L’Alliance des technologies

La véritable force de Global Fishing Watch réside dans sa capacité à combiner de multiples sources de données. En plus de l’AIS et du VMS, la plateforme intègre l’imagerie radar et optique, ainsi que la détection des lumières nocturnes (utilisées par certains bateaux pour attirer le poisson). Cette fusion technologique permet non seulement de cartographier l’effort de pêche mondial avec une précision inédite, mais aussi de repérer les navires qui tentent de se dissimuler en coupant leurs signaux de transmission – les fameuses « cibles noires » qui opèrent volontairement dans l’ombre.

Un Engagement pour l’Afrique

L’engagement de GFW sur le continent est clair et sans équivoque. Comme le souligne M. Mboup : « Chez Global Fishing Watch, nous sommes convaincus que la transparence est essentielle pour assurer une gestion responsable des ressources halieutiques. » L’organisation accompagne déjà plusieurs États africains dans leurs efforts pour renforcer leur surveillance maritime et mettre en œuvre des politiques de données ouvertes, adaptant ses outils aux réalités du terrain.

Mais cette vision technologique ne peut être pleinement efficace sans la voix et l’expertise des premiers concernés : les pêcheurs artisans.

CAOPA : La voix des pêcheurs au cœur de la stratégie

Quai de Mbour ©Aliou DIALLO CAOPA 2025
Quai de Mbour ©Aliou DIALLO CAOPA 2025

La Confédération Africaine des Organisations de Pêche Artisanale (CAOPA) est bien plus qu’une simple organisation. Elle incarne « Quinze années d’engagement, de mobilisation, de plaidoyer et de leadership » au service des communautés de pêcheurs à travers le continent. Son action est essentielle dans plusieurs domaines :

  • La défense des droits des pêcheurs artisans.
  • La promotion d’une gouvernance participative.
  • Le plaidoyer pour une meilleure protection des zones de pêche artisanale.
  • La valorisation du rôle essentiel des femmes dans la transformation et la distribution du poisson.
  • Le renforcement du leadership communautaire.
  • La construction de ponts entre les acteurs locaux, nationaux et internationaux.

Les 3 revendications clés pour la transparence

Pour que la transparence soit véritablement au service des communautés, la CAOPA a formulé trois recommandations fondamentales, qui placent les pêcheurs au centre du dispositif de gouvernance.

Une Gestion Transparente des Pêcheries Côtières : Il est impératif que les décisions qui affectent directement les pêcheurs soient prises en toute clarté. Cela inclut la publication systématique des listes de licences de pêche, des redevances payées par les navires industriels et des justifications des réglementations. Surtout, la CAOPA exige une implication directe des représentants de la pêche artisanale dans les structures de gouvernance.

 

Une Économie Bleue Ouverte au Public : la pêche n’est pas la seule activité qui impacte l’océan. Les projets industriels en mer (pétrole, gaz, exploitation minière) doivent faire l’objet d’un examen public rigoureux. La CAOPA demande la publication des permis d’exploitation, des évaluations d’impact environnemental et social, mais aussi des projets d’aide et de nouveaux types de financements pour la conservation des océans, y compris les échanges dette-nature.

 

Une Visibilité Accrue pour la Pêche Artisanale : Trop souvent, la contribution vitale de la pêche artisanale reste invisible dans les statistiques officielles. La CAOPA appelle à une meilleure collecte de données sur le secteur, notamment sur le rôle crucial des femmes, qui sont les piliers de toute la chaîne de valeur post-capture mais demeurent largement négligées. Reconnaître leur apport est une question de justice et d’efficacité économique.

De bénéficiaires à partenaires : L’implication essentielle des communautés

Les satellites peuvent voir les navires, mais ils ne peuvent pas voir tout ce qui se passe sous la surface de l’eau. Les pêcheurs artisans, eux, possèdent un savoir empirique précieux, une connaissance intime des courants, des saisons de reproduction et de la santé des écosystèmes. Cette expertise locale est un complément indispensable aux données technologiques. La fusion du savoir satellitaire et du savoir communautaire est la clé d’une surveillance réellement efficace.

Global Fishing Watch partage pleinement cette vision. L’organisation ne voit pas les communautés comme de simples réceptrices de ses outils, mais comme des alliées de premier plan. Elle l’affirme sans détours : « Les pêcheurs artisans ne sont pas seulement des bénéficiaires : ils sont des partenaires essentiels, acteurs clés de la résilience des écosystèmes et des défenseurs de leur propre avenir. »

Rôle actif des pêcheurs

L’implication des communautés se traduit par des actions très concrètes. En participant ‘activement’ à la surveillance, les pêcheurs peuvent signaler la présence de chalutiers industriels dans les zones réservées à la pêche artisanale, documenter les rejets illégaux, ou encore fournir des données de capture qui échappent aux statistiques officielles. Cette participation n’est pas seulement un acte de vigilance ; c’est un moyen de défendre leurs droits d’accès aux ressources et de préserver cette vie et cette dignité qui dépendent de l’océan. En devenant des acteurs de la transparence, ils se réapproprient la gouvernance de leur territoire.

Cette alliance prometteuse entre technologie et savoir communautaire est la clé, mais le chemin vers une gouvernance océanique pleinement transparente et juste reste semé de défis.

Un avenir à construire ensemble

L’alliance entre la technologie de pointe de Global Fishing Watch et le plaidoyer ancré dans les réalités du terrain de la CAOPA ouvre un nouveau chapitre pour la pêche africaine. Elle démontre que la surveillance des océans n’est plus l’apanage exclusif des gouvernements ou des grandes entreprises. La transparence, lorsqu’elle est accessible et démocratisée, devient le pilier d’une gestion durable qui protège à la fois la biodiversité marine et les communautés humaines qui en dépendent.

Le chemin est encore long. Des défis majeurs comme le changement climatique et la pêche illégale exigent une responsabilité partagée. Mais une vision commune est née, fondée sur quatre piliers : l’innovation, la science, l’expérience communautaire et la responsabilité partagée. C’est le plan d’un nouveau modèle de gouvernance océanique, construit de la base au sommet, où la donnée satellite est validée par le regard du pêcheur et la politique internationale est façonnée par la sagesse locale. Comme le résume son engagement final, Global Fishing Watch restera « aux côtés [de la CAOPA] pour construire un avenir où la transparence, la justice et la durabilité guident la gestion de nos océans ».

Mamadou Aliou Diallo

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