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La pêche artisanale : un secteur au cœur des enjeux africains

Dr Aboubacar SIDIBE FAO RAF Accra ©Aliou DIALLO CAOPA
Dr Aboubacar SIDIBE FAO RAF Accra ©Aliou DIALLO CAOPA

Souvent perçue comme une activité traditionnelle, la pêche artisanale est en réalité un secteur stratégique qui assure entre 60 et 70 % de la production halieutique de l’Afrique, incarnant une force vitale pour l’avenir du continent. Loin d’être un vestige du passé, elle constitue un pilier essentiel pour la souveraineté alimentaire, la stabilité économique et la durabilité écologique. C’est le message d’urgence délivré par le Dr Aboubacar Sidibé, spécialiste principal en pêches et aquaculture, Bureau régional de la FAO pour l’Afrique, Accra, Ghana, lors d’une présentation préparée pour la Journée Mondiale de la Pêche à Banjul, en Gambie, du 19 au 21 novembre 2025.

Le poids réel de la pêche artisanale

L’importance de la pêche artisanale en Afrique se mesure autant en tonnes qu’en vies humaines. D’après le rapport SOFIA 2024 de la FAO, le continent a produit 13,1 millions de tonnes de produits aquatiques en 2022, soit 9,2 % des captures marines mondiales. Derrière ces millions de tonnes se trouve un tissu social et économique colossal. Ce secteur soutient directement les moyens de subsistance de 10 millions d’Africains qui dépendent de la pêche artisanale, tant continentale que maritime, comme principale source de revenus. Plus largement encore, 90 millions de personnes supplémentaires, notamment des agriculteurs et des populations rurales, y ont recours dans le cadre de la diversification de leurs activités pour subvenir à leurs besoins.

Quai de Mbour ©Aliou DIALLO CAOPA 2025
Quai de Mbour ©Aliou DIALLO CAOPA 2025

Au cœur de la souveraineté alimentaire : nourrir un continent

Le rôle de la pêche artisanale dans la sécurité alimentaire du continent est fondamental. Le poisson qu’elle fournit est une source nutritionnelle vitale pour environ 200 millions d’Africains, apportant des protéines de haute qualité et des micronutriments essentiels comme les acides gras oméga-3, le calcium, le sélénium et le zinc.

Pourtant, ce pilier nutritionnel reste fragile. Avec une consommation moyenne de 9,2 kg par personne et par an, l’Afrique est loin derrière la moyenne mondiale de 21 kg, un écart qui révèle une profonde insécurité alimentaire. Le Dr Sidibé lance une alerte préoccupante : “cette consommation pourrait encore diminuer, particulièrement en Afrique subsaharienne, où la croissance démographique rapide risque de dépasser l’augmentation de l’offre”.

Le rôle écologique des communautés des pêcheurs

Loin des clichés, la pêche artisanale utilise souvent des méthodes de pêche plus sélectives et moins énergivores que la pêche industrielle, contribuant potentiellement à une exploitation plus durable des ressources. Les communautés qui en vivent sont des acteurs de premier plan dans la protection de l’environnement. Situées en première ligne face au changement climatique, elles adaptent continuellement leurs pratiques pour y faire face et jouent un rôle clé dans la protection de la biodiversité et la restauration des écosystèmes côtiers dont leur survie dépend directement.

Un secteur sous pression 

Mareyeuse à Gunjur 2025 ©Aliou DIALLO CAOPA
Mareyeuse à Gunjur 2025 ©Aliou DIALLO CAOPA

Ce pilier socio-économique est cependant un colosse aux pieds d’argile, menacé par une convergence de pressions qui mettent en péril son avenir.

Concurrence et Surpêche. La pression exercée par la pêche industrielle et l’« accaparement des océans » est intense, souligne-t-il. Cette concurrence accrue entraîne une réduction des stocks de poissons disponibles, fragilise l’activité des pêcheurs artisans et compromet leurs moyens de subsistance.

Manque de représentation : Les pêcheurs artisans sont trop souvent exclus des instances de décision qui régissent la gestion des ressources marines. Leur voix n’est pas entendue dans les débats qui déterminent pourtant les conditions de leur survie économique et sociale.

Menaces environnementales : Les impacts du changement climatique et les activités extractives (pétrolières, minières) constituent des menaces directes et croissantes pour la durabilité des écosystèmes marins et, par conséquent, pour la pêche artisanale.

Réglementations inadaptées : Les cadres réglementaires en vigueur sont souvent déconnectés des réalités locales. Ils échouent à protéger efficacement les pêcheries artisanales et à prendre en compte leurs spécificités.

Stratégies et solutions concrètes

Face à ces défis, le Dr Sidibé a présenté un ensemble de solutions concrètes pour renforcer la résilience et la durabilité du secteur.

Refonder la gouvernance sur des bases justes et participatives

Une gouvernance plus inclusive est la première étape. Cela passe par la promotion de modèles de cogestion où l’État et les professionnels de la mer collaborent activement, impliquant les pêcheurs dans la gestion des ressources et le combat contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Il est également crucial de reconnaître et protéger les droits des communautés de pêcheurs, notamment via des mécanismes de protection sociale, et de mettre en place des processus de gouvernance transparents.

Renforcer les acteurs et moderniser la chaîne de valeur

Mareyeur quai Mbour 2025 © Aliou DIALLO CAOPA
Mareyeur au marché de Mbour 2025 © Aliou DIALLO CAOPA

Le renforcement des capacités des acteurs est une priorité. Il s’agit de moderniser la transformation artisanale et d’améliorer la chaîne du froid pour réduire les pertes post-capture, en facilitant l’accès aux marchés, en particulier pour les femmes transformatrices. L’avenir du secteur repose également sur sa capacité à attirer et à former la jeunesse. Il est essentiel de doter les jeunes de compétences techniques, mais aussi numériques et entrepreneuriales, pour développer des innovations cruciales comme la traçabilité des produits. Enfin, encourager l’organisation collective et valoriser les savoirs locaux sont des leviers puissants pour que les acteurs définissent leurs propres feuilles de route.

Protéger la ressource et sécuriser les hommes

La protection de l’écosystème marin est indissociable de celle des pêcheurs. Il faut encourager les pratiques de pêche sélectives, instaurer des repos biologiques et mettre en place des aires marines protégées cogérées. Parallèlement, il est impératif d’assurer la sécurité en mer. Cela inclut la modernisation des débarcadères (accès à l’eau potable, hygiène, glace) et le renforcement des capacités des pêcheurs par la formation, l’accès à des équipements modernes et la mise en place de systèmes d’alerte efficaces.

L’engagement de la FAO et un appel à l’action collective

La FAO est activement engagée dans le soutien à la pêche artisanale à travers trois axes principaux d’intervention :

✓ Renforcement des capacités : Soutien au renforcement des infrastructures et à des programmes de formation ciblés, notamment pour les femmes (manipulation, transformation, commercialisation du poisson) et pour l’amélioration de la sécurité en mer.

✓ Recherche et données : Collecte et analyse de données pour quantifier et démontrer la contribution essentielle du secteur aux systèmes alimentaires et au développement.

✓ Orientations stratégiques : Élaboration de cadres de référence comme les « Directives pour la pêche artisanale » afin d’aider les gouvernements à mettre en place des politiques favorables.

Marché de poisson à Mbour ©Aliou DIALLO CAOPA 2025Marché de poisson à Mbour ©Aliou DIALLO CAOPA 2025

Cependant, la responsabilité est partagée. La transformation du secteur nécessite l’implication de tous les acteurs, en commençant par les premiers concernés. La mobilisation des pêcheurs artisans et de leurs organisations, des Gouvernements, des institutions de Recherche, des Donateurs, du Secteur Privé, des ONG et des Organisations Régionales est indispensable.

La pêche artisanale, clé de voute d’un avenir africain durable

La pêche artisanale n’est pas un secteur du passé, mais une composante indispensable de l’avenir de l’Afrique. Elle est au carrefour de la souveraineté alimentaire, de la stabilité sociale et de la durabilité écologique. La protéger et la renforcer n’est pas seulement une question de préservation d’un mode de vie, mais une condition non négociable pour bâtir un avenir prospère et résilient pour le continent. La réussite de cette mission vitale dépend de l’engagement de tous, sans exception.

Mamadou Aliou DIALLO

 

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