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Sardinelle en péril : comment les pêcheurs d’Afrique de l’Ouest s’unissent pour sauver leur avenir

Saly Portudal, Sénégal – Les 16 et 17 septembre 2025, la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche Artisanale (CAOPA) a organisé une rencontre sous-régionale consacrée à la gestion durable de la sardinelle.Réunis à Sénégal, des représentants des communautés de pêche artisanale, des institutions régionales, des partenaires techniques et des ONG ont débattu des menaces qui pèsent sur cette ressource vitale et des solutions à mettre en œuvre collectivement.

Une ressource partagée, au cœur de la sécurité alimentaire

En Afrique de l’Ouest, les petits pélagiques  (et la sardinelle en particulier) jouent un rôle crucial dans la sécurité alimentaire, l’emploi et la stabilité socio-économique des communautés côtières.

Consommée quotidiennement par des millions de familles, la sardinelle est souvent décrite comme le « pain de la mer ».

Gaoussou GUEYE, président de la CAOPA - 2025
Gaoussou GUEYE, président de la CAOPA – 2025

Mais cette ressource transfrontalière est aujourd’hui en péril, victime de la surpêche, du changement climatique et d’un manque de coordination régionale.

« La sardinelle n’appartient à personne, mais sa survie dépend de nous tous », a rappelé avec force Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, en ouverture de la rencontre. « Si nous ne réagissons pas, demain nos mers seront vides et nos marchés silencieux. Préserver la sardinelle, c’est préserver notre avenir commun. »

Un prolongement des engagements régionaux

Cette rencontre s’inscrit dans la dynamique lancée lors de la 22ᵉ Session ordinaire de la Conférence des ministres de la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP), tenue en juillet 2025 à Dakar. À cette occasion, les États membres avaient réaffirmé leur volonté d’ancrer une gouvernance régionale plus inclusive et participative. La création d’un groupe de travail dédié à la pêche artisanale avait même été proposée par la délégation guinéenne.

À Saly, il s’agissait de donner corps à cette ambition en plaçant les pêcheurs artisans, hommes et femmes, au cœur du dialogue régional.

Des participants venus de toute la sous-région

Participants de l'atelier sur la sardinelle - 2025
Participants de l’atelier sur la sardinelle – 2025

La rencontre a réuni deux délégués par pays membre de la CSRP – un pêcheur et une femme transformatrice – venus de Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau, Guinée, Sierra Leone, Cabo Verde, avec la participation du Maroc en tant qu’observateur.

Autour d’eux, étaient également présents des représentants de la CSRP, de la FAO, du Partenariat Régional pour la Conservation de la zone Côtière et Marine (PRCM), de la Coalition pour des Accords de Pêche Équitables (CAPE), de radios communautaires, du Centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaroye (CRODT), ainsi que du ministère sénégalais des Pêches.

Le financement de l’événement a été assuré par Fauna & Flora.

Des constats alarmants sur l’état des stocks

Les échanges ont confirmé les inquiétudes exprimées par les scientifiques et les acteurs de terrain : les stocks de sardinelle connaissent un déclin rapide.

Dr Mika DIOP, CSRP -CAOP - 2025
Dr Mika DIOP, CSRP -CAOP – 2025

« Nous sommes partis de constats scientifiques clairs . La situation est dramatique, avec des baisses allant de 59 % à 85 % selon les zones », a souligné le Dr Mika Diop, représentant de la CSRP. « Face à ce constat, il est urgent d’agir, mais en impliquant tous les acteurs, car aucune mesure ne pourra réussir sans une mobilisation collective. »

Coumba Ndoffene Diouf, représentant Ministères des pêches et de l'économie maritime du Sénégal
Coumba Ndoffene Diouf, représentant Ministères des pêches et de l’économie maritime du Sénégal

Même son de cloche du côté de l’administration sénégalaise. Coumba Ndoffene Diouf, de la Direction des Pêches Maritimes, a rappelé que la sardinelle est un « stock partagé » qui circule du sud du Maroc jusqu’à la Guinée-Bissau : « Quand un pays agit seul, ses efforts restent vains. C’est à l’échelle de la CSRP que nous devons travailler ensemble, au-delà de nos divergences, car la survie de nos économies et de nos communautés côtières en dépend. »

Une approche participative au cœur de la démarche

Pour les partenaires techniques, cette rencontre marque une étape importante. Juan F. L. Sanchez, représentant de Fauna & Flora, a insisté sur la nécessité d’une gouvernance inclusive :

Juan F. L. Sanchez, Fauna & Flora -CAOPA 2025
Juan F. L. Sanchez, Fauna & Flora -CAOPA 2025

« Ce projet vise à promouvoir une approche participative et harmonisée de la gestion des pêches à l’échelle régionale. Les impacts des accords d’accès étrangers ont trop longtemps pesé sur les communautés côtières. Il est temps que leurs voix soient entendues et qu’elles participent directement aux décisions. »

Le message est clair : sans implication active des pêcheurs, des femmes transformatrices et des communautés locales, aucune stratégie de conservation ou de gestion durable ne pourra être efficace.

Vers des commissions mixtes transfrontalières

Parmi les principales pistes explorées figure la création de commissions mixtes transfrontalières de pêche artisanale, rassemblant des délégués de pays voisins (Mauritanie–Maroc, Sénégal–Mauritanie, Sénégal–Gambie, Sénégal–Guinée-Bissau) Guinée, Sierra Léone. Ces commissions auraient pour mission de faciliter la concertation, la prévention des conflits et la définition de règles communes d’exploitation de la ressource.

Des perspectives pour l’avenir

Au terme de deux jours de débats intenses, les participants sont repartis avec des engagements forts. D’une part, poursuivre la sensibilisation au niveau national pour que les gouvernements traduisent les recommandations en politiques concrètes. D’autre part, renforcer la coopération régionale autour de la sardinelle et des autres petits pélagiques, en s’appuyant sur la science, la transparence et l’implication directe des communautés.

« Notre responsabilité est de protéger la sardinelle aujourd’hui pour que nos enfants puissent encore la pêcher demain. Pas de décision durable sans la voix de ceux qui vivent de la mer », a martelé Gaoussou Gueye, en conclusion de la rencontre.

Rencontre d'échange
Rencontre d’échange

Une étape décisive pour la gouvernance régionale

L’atelier de Saly Portudal marque ainsi une étape clé dans la construction d’une gouvernance régionale participative des ressources halieutiques. Alors que les États de la sous-région cherchent à mettre en œuvre le Plan stratégique 2025–2029 de la CSRP, les recommandations issues de cette rencontre devraient jouer un rôle central dans les négociations à venir.

Au-delà de la sardinelle, c’est toute la question de la résilience des communautés côtières face aux défis alimentaires, économiques et climatiques qui est posée.

Si les promesses faites à Saly se traduisent en actions concrètes, la rencontre pourrait bien rester dans les annales comme le moment où les pêcheurs artisans d’Afrique de l’Ouest ont pris toute leur place dans la gouvernance régionale des mers.

Mamadou Aliou DIALLO

 

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