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Lutter contre la pêche illicite : un impératif mondial pour la durabilité des océans

Le 12 juin 2025, à Nice, lors de la Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC3), Manuel Barange, Directeur général adjoint de la FAO, a lancé un message fort : il est temps de combattre fermement la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

Ce fléau mondial, a-t-il rappelé, « compromet les efforts de conservation, détruit les écosystèmes marins et prive des millions de pêcheurs artisans de revenus décents ». À l’heure où la pression sur les ressources halieutiques s’intensifie, lutter contre la pêche INN n’est pas une option, mais une nécessité stratégique pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD 14.

Pourquoi la pêche INN est-elle un danger mondial ?

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est depuis des années dans le viseur de la communauté internationale. Cette activité illégale échappe à toute forme de surveillance, échappe aux taxes, ne respecte aucune règle de gestion durable, et met en péril aussi bien la biodiversité marine que les moyens de subsistance des communautés côtières.

Dans son discours, lors de l’évènement parallèle co-organisé par la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP), en partenariat avec la République Islamique de Mauritanie, intitulé : « Promouvoir la transparence dans la gouvernance de la pêche, renforcer les instruments juridiques : une perspective africaine pour l’océan mondial »,  Manuel Barange a rappelé que les impacts de la pêche INN sont dévastateurs : pillage des ressources halieutiques, affaiblissement de l’économie des pays côtiers, perte de confiance dans les règles de gestion, et réduction de la sécurité alimentaire.

Une priorité de la transformation bleue portée par la FAO

La FAO a fait de cette lutte une priorité stratégique dans sa Feuille de route pour la transformation bleue 2022–2030. Elle appelle à mettre en œuvre des actions concrètes pour répondre à deux cibles majeures de l’ODD 14 :

14.4 : Éliminer la pêche INN et restaurer les stocks de poissons.

14.6 : Supprimer les subventions publiques qui alimentent ces pratiques illégales.

 

Selon Manuel Barange, ces engagements doivent passer par l’adoption et la mise en œuvre effective des instruments juridiques internationaux, en particulier ceux développés sous l’égide de la FAO. Il souligne notamment le rôle fondamental de deux accords :

L’Accord sur le respect des mesures internationales de conservation et de gestion par les navires de pêche en haute mer (Accord de conformité).

L’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port (PSMA), premier accord juridiquement contraignant ciblant spécifiquement la pêche INN.

Le PSMA : un outil juridique efficace et reconnu

Le PSMA, entré en vigueur il y a neuf ans, est aujourd’hui l’instrument le plus largement ratifié parmi les traités liés aux océans, avec 100 États parties, dont l’Union européenne. Ce succès est pour la FAO une preuve de son efficacité et de sa pertinence.

« Le PSMA empêche les produits issus de la pêche INN d’atteindre les marchés nationaux et internationaux. C’est un outil puissant et rentable pour protéger les ressources marines », a souligné Manuel Barange.

CSRP 12 JUIN 2025 UNOC3
CSRP 12 JUIN 2025 UNOC3

Mais pour que cet outil tienne ses promesses, il faut renforcer les capacités nationales à l’appliquer. Cela suppose des systèmes d’inspection portuaire efficaces, des procédures de déclaration transparentes, et une coopération régionale accrue.

Des avancées concrètes sur le terrain

La FAO ne se contente pas de recommandations : elle agit. À travers son Programme mondial de renforcement des capacités pour le PSMA, elle accompagne déjà plus de 60 États pour les aider à mettre en œuvre ces accords dans leur droit et leurs pratiques nationales.

Manuel Barange s’est félicité de voir que ce soutien produit des résultats tangibles. Il a cité plusieurs exemples en Afrique :

En Guinée, un nouveau Code des pêches conforme aux normes internationales a été adopté en mai 2025.

En Gambie, la FAO collabore avec les autorités pour réviser les lois nationales de pêche, en lien avec le ministre Moussa Darabe.

Au Sénégal, un projet de loi sur les pêches est en cours de finalisation, avec un appui technique de la FAO.

À Madagascar, un décret sur le contrôle et la surveillance (MCS), intégrant les exigences du PSMA, est sur le point d’être adopté.

En Guinée-Bissau et au Cap-Vert, des stratégies nationales sont élaborées avec l’aide de la FAO pour mettre en œuvre le PSMA et d’autres instruments connexes.

 

Transparence et partage d’informations : des conditions clés

Au cœur de cette lutte, la transparence et le partage d’informations entre États sont indispensables. La FAO a ainsi mis en place le Global Information Exchange System (GIES), un système mondial d’échange d’informations conçu pour :

Soutenir la surveillance et le contrôle des pêches.

Aider les États à cibler leurs efforts.

Faciliter les inspections portuaires.

Améliorer la cohérence des mesures prises contre les navires non conformes.

La FAO insiste néanmoins sur le fait que les données d’inspection doivent être vérifiées et contextualisées avant toute décision : il en va de la crédibilité du système et du respect des droits.

Lutter contre la pêche INN, c’est protéger les pêcheurs artisans

Dans son allocution, Manuel Barange a souligné à plusieurs reprises le lien entre la lutte contre la pêche INN et la justice sociale.

« La pêche INN nuit d’abord aux pêcheurs artisans. Ce sont eux qui perdent l’accès à la ressource, qui voient leurs revenus diminuer, et qui subissent de plein fouet l’exploitation illégale de leur espace de vie. »

La FAO appelle donc à protéger les droits des pêcheurs artisans dans les politiques de lutte contre la pêche INN, en les associant aux mécanismes de contrôle et de gouvernance.

Une action collective pour des océans durables

La lutte contre la pêche INN ne peut réussir que par une mobilisation conjointe des États, des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP), des communautés de pêcheurs et des consommateurs.

En conclusion de son discours, Manuel Barange a lancé un appel :

« Nous avons les outils. Nous avons l’expérience. Il nous faut maintenant la volonté. La FAO est prête à accompagner chaque pays dans cet effort, et nous appelons nos partenaires à se joindre à nous pour faire de cette lutte une réussite partagée. »

Une situation critique en Afrique de l’Ouest

Manuel Barange UNOC3
Manuel Barange UNOC3

En guise d’alerte finale, le Directeur adjoint de la FAO a mentionné les résultats du rapport publié la veille sur la durabilité des pêches dans le monde, basé sur 2 570 stocks halieutiques. Dans la zone 37 (du Maroc au delta du Congo), moins de 3 % des stocks sont exploités durablement.

Ce chiffre montre l’urgence de réagir, notamment pour les pays du Sud, souvent les plus vulnérables à la pêche INN, mais aussi les plus engagés dans la défense des petits pêcheurs et des ressources marines.

Un cap clair, un défi collectif

La FAO s’est fixé un objectif clair : renforcer la gouvernance des pêches, mettre fin à l’impunité des acteurs illégaux, et protéger les ressources pour les générations futures.

Pour les pays africains, cette vision s’aligne avec les ambitions des communautés côtières : préserver leur environnement, assurer des revenus décents, et transmettre leurs savoirs à la jeunesse. La lutte contre la pêche illicite n’est pas une contrainte extérieure. C’est une exigence de justice, de durabilité et de souveraineté.

 

Mamadou Aliou DIALLO

de retour à l’UNOC3

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