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UNOC3 : Les voix de la pêche artisanale africaine s’invitent au cœur des décisions mondiales

Du 9 au 13 juin 2025, Nice (France) a accueilli la 3e Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC3).  Un rendez-vous majeur de la gouvernance océanique, réunissant plus de 120 pays, 60 chefs d’État, 30 chefs d’organisations internationales, des milliers de représentants de la société civile, d’experts scientifiques, d’ONG et de professionnels de la mer. L’objectif : faire progresser l’ODD 14, consacré à la conservation et à l’utilisation durable des océans et de leurs ressources.

La CAOPA (Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale) y a pris une part active, avec une délégation représentative venue de sept pays : Sénégal, Gambie, Seychelles, Côte d’Ivoire, Kenya, Guinée-Bissau et Guinée. Notre mission : porter la voix des communautés côtières africaines, défendre leur droit à vivre dignement de la mer, et faire entendre leur expertise dans les discussions internationales.

Quand la pêche artisanale devient un acteur mondial

La participation des pêcheurs artisans à l’UNOC3 ne s’est pas limitée à des apparitions symboliques. Le 12 juin, un événement parallèle organisé par la CAOPA et l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) avec leurs partenaires, a marqué un tournant.
40 pêcheurs artisans représentant 25 pays et 12 millions de personnes ont exprimé un message fort :

« Pour que la conservation marine soit équitable et efficace, elle doit reposer sur une approche fondée sur les droits humains, incluant la reconnaissance des droits fonciers et d’accès. »

Ces pêcheurs, venus d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe, ont partagé les mêmes défis : criminalisation, perte d’accès, marginalisation, pauvreté persistante. Mais aussi la même solution : leur participation pleine et entière aux processus décisionnels.

Des voix fortes pour une économie bleue équitable

Gaoussou Gueye, UNOC3
Gaoussou Gueye, UNOC3

Parmi les interventions les plus marquantes, celle de Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, a captivé l’audience :
« Nous croyons à une économie bleue. Mais nous ne voulons pas d’une économie bleue pour les uns, et noire d’injustice pour les autres. […] Rien pour nous sans nous. »

Il a dénoncé la planification maritime excluante, les zones d’exclusion de pêche imposées sans consultation, et les projets industriels qui effacent les communautés des cartes. Il a aussi mis en lumière des alternatives concrètes, comme les femmes transformatrices du Sénégal qui ont obtenu des infrastructures adaptées et amélioré la qualité de leurs produits grâce à une mobilisation locale structurée.

« Il ne peut y avoir de durabilité sans équité. »

Femmes de la mer : dignité, savoir-faire et résilience

La délégation de la CAOPA était portée aussi par des femmes engagées. À l’image de Nadège Leka Raïssa Madou, transformatrice de poisson en Côte d’Ivoire :

Raïssa Madou Leka Nadège CI
Raïssa Madou Leka Nadège CI

« Je porte ici la voix de toutes les femmes africaines qui, chaque jour, transforment le poisson en nourriture accessible à tous, en revenus pour nos familles, en dignité pour nos communautés de pêche ancestrales. »

Elle a rappelé les conditions précaires dans lesquelles travaillent les femmes : fours toxiques, manque de chaîne du froid, espaces de travail insalubres. Mais aussi les solutions existantes, comme les fours améliorés, les unités de réfrigération solaire, les marchés aménagés.

« Et surtout, nous voulons avoir notre place à la table des décisions sur les politiques maritimes, les plans de co-gestion, les projets d’économie bleue. Car sans notre voix, sans notre travail, sans notre engagement, il n’y a pas de sécurité alimentaire, il n’y a pas de durabilité.»

Ce que l’UNOC3 nous a appris

Dawda Foday Saine, secrétaire général de la CAOPA (Gambie), a comparé UNOC3 à celle de Lisbonne (UNOC2) :

« Ce UNOC3 a offert plus de place aux petits pêcheurs. Les messages ont été entendus par des ministres, des ambassadeurs. […] Les pêcheurs, nous sommes dignes. Notre droit à la mer, à la participation, ce n’est pas un privilège. C’est un droit. »

Il a insisté sur le besoin d’implémenter les Directives SSF par des actions concrètes :

« Ce n’est pas seulement un appel à l’action. C’est un appel sur papier. Il faut que cela devienne des projets financés, mis en œuvre. »
Sa conclusion : la gouvernance doit commencer par la base. Il appelle à retourner vers les communautés, expliquer les directives, construire ensemble la mise en œuvre.

Une unité transcontinentale pour défendre les pêcheurs

Mercy Mghanga Wassai, mareyeuse et entrepreneure kenyane, a salué la convergence des luttes :

« Ce que j’ai vu à Nice, c’est que les pêcheurs artisans du monde entier se ressemblent. Les problèmes sont les mêmes. Et nous devons élever nos voix ensemble. »

Elle insiste sur la nécessité d’impliquer les femmes dans les décisions, de créer des espaces de dialogue entre continents, et de travailler avec des partenaires qui respectent les valeurs des communautés.

Mercy Mghanga Wassai
Mercy Mghanga Wassai

Ce que la pêche artisanale demande

  • De toutes les interventions, les demandes les plus récurrentes peuvent se résumer en cinq points :Mettre en œuvre les Directives SSF au niveau local, national et régional.

  • Garantir l’accès aux zones de pêche traditionnelles et aux ressources.

  • Créer des mécanismes de financement directs pour les projets communautaires.

  • Intégrer systématiquement les professionnels artisans dans la planification et la gouvernance.

  • Valoriser les savoirs locaux et renforcer les capacités des organisations de base.

De la parole à l’action

L’UNOC3 a montré que les pêcheurs artisans ne sont plus seulement des témoins. Ils sont des acteurs clés de la transition bleue, des gardiens des savoirs marins, des architectes d’une économie inclusive.

Mais pour transformer les engagements en impacts réels, il faut maintenant que les États et les institutions internationales prennent des mesures concrètes, soutiennent les initiatives locales et garantissent des espaces politiques stables et accessibles aux professionnels de la pêche artisanale.

Ce qui a été commencé à Nice doit se poursuivre dans les villages, sur les plages, dans les marchés, là où les hommes et les femmes de la mer luttent pour vivre dignement.

“Faisons de cette économie bleue une mer d’espoir, pas un océan d’injustices”, conclut Gaoussou Gueye.

Par Mamadou Aliou Diallo

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