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Événement parallèle de la pêche artisanale: Discours de Raïssa Madou

Bonjour à toutes et à tous,

Je m’appelle Raïssa Madou et je parle au nom de la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA). Je viens de la Côte d’Ivoire. Chaque jour, je travaille au plus près de l’océan, en faisant le commerce du poisson capturé par les pêcheurs artisans.

Aujourd’hui, je viens pour vous adresser un message : sans nous, il n’y a pas d’océan durable. Sans nous, il n’y a pas de sécurité alimentaire. Sans la pêche artisanale, il n’y a pas d’économie bleue.

En Afrique, plus de 12 millions de femmes et d’hommes vivent de la pêche artisanale. C’est nous qui amenons le poisson de l’océan à l’assiette des populations, dans les écoles, sur les marchés.

Aujourd’hui, nous sommes acculés de toutes parts : par les flottes industrielles, les projets pétroliers et gaziers qui s’immiscent dans nos eaux, par les hôtels qui envahissent notre espace de travail sur la plage et empêchent les pêcheurs d’accéder à leurs bateaux. Les conséquences sont désastreuses : lorsque nos espaces côtiers sont détruits ou confisqués, les pêcheurs ne peuvent plus assurer leur capture, les femmes transformatrices perdent leur poisson et leur revenu. Les enfants abandonnent l’école.

Les communautés de pêche artisanale doivent donc bénéficier d’un accès prioritaire aux zones côtières. Que les gouvernements cessent de traiter ces communautés comme des squatters sur leurs propres côtes. Nous avons besoin d’une reconnaissance légale de nos droits d’accès à la terre, à l’eau et aux ressources halieutiques.

Mais l’accès ne suffit pas. Nous avons besoin de gouvernance. Une gouvernance partagée.

Nous plaidons pour une cogestion à 100 % des zones côtières, afin de protéger à la fois les moyens de subsistance des pêcheurs et la nature. Dans plusieurs pays africains, les communautés de pêche qui gèrent leurs propres aires marines protégées ont vu les stocks de poissons se reconstituer. Des équipes locales de surveillance participative aident à contrôler la pêche illégale et à protéger les zones de reproduction. Ces solutions sont mises en œuvre par les personnes qui dépendent le plus des océans. Et ça fonctionne !

Permettez-moi de m’exprimer non seulement en tant que commerçante de poisson, mais aussi en tant que femme. Dans les pêcheries artisanales, les femmes sont présentes sur toute la chaîne de valeur du poisson : séchage, fumage, vente, transformation du poisson en nourriture pour des millions de consommateurs africains. Dans nos communautés, nous sommes des économistes, des environnementalistes, des éducatrices. Mais nous sommes aussi invisibles.

Dans de nombreux pays, nous n’avons pas accès à la prise de décision. Cela signifie que nos besoins sont mis de côté : nous n’avons pas accès à de meilleures infrastructures de transformation du poisson, à des entrepôts frigorifiques, à des prêts, à des formations.

Mais les femmes sont aussi des innovatrices et se sont réunies pour construire des fours à poisson améliorés, qui leur évitent de respirer de la fumée dix heures par jour, qui économisent du carburant et qui permettent de conserver le poisson plus longtemps. Les femmes dirigent la restauration des mangroves afin de protéger les pêcheries pour les générations futures. Imaginez ce que nous pourrions faire si nous avions ne serait-ce que la moitié du soutien accordé aux industries d’exportation !

Si vous voulez des communautés côtières résilientes, vous devez soutenir les femmes qui assurent leur cohésion. Investissez dans nos compétences ! Financez nos petites entreprises !

Mais permettez-moi de vous mettre en garde : toute planification n’est pas synonyme de progrès.

En Afrique, la planification de l’espace maritime est présentée comme un outil de gouvernance des océans. Mais trop souvent, elle devient un outil d’accaparement des océans, un moyen pour les puissants acteurs de l’économie bleue de découper la mer pour les ports, le tourisme, l’énergie et les flottes industrielles, tout en reléguant les communautés de pêche artisanale à la marge.

Les zones offshores sont cédées à des flottes étrangères ou à des compagnies pétrolières, laissant les pêcheurs artisans dans des zones de plus en plus réduites. Les parcs marins sont créés sans consultation adéquate et déplacent les communautés qui pêchent dans ces eaux depuis des générations. Nous ne nous opposons pas à la planification de l’utilisation de la mer, mais au fait que nous sommes exclus de cette planification. L’océan n’est pas un espace vide à partager entre de puissantes industries. C’est un espace dans lequel nous travaillons et vivons. Pour que la planification de l’espace maritime soit équitable, elle doit partir des droits, des besoins et des connaissances des petits pêcheurs, et non les effacer.

Je voudrais aussi parler au nom de nos jeunes. Le changement climatique est en train de réécrire nos côtes et notre avenir. Les courants changeants ont modifié les routes de migration des poissons.

Nos jeunes s’interrogent : Ai-je un avenir ici ? Ou dois-je partir ?

Si nous voulons que les jeunes restent et prospèrent dans notre secteur de la pêche, nous devons rendre nos pêcheries résistantes au climat. Chaînes de froid alimentées par l’énergie solaire. Systèmes d’alerte précoce. Restauration des mangroves. Sûreté à bord des pirogues. Compétences numériques. Ce ne sont pas des produits de luxe. Ce sont des bouées de sauvetage.

Je terminerai par ceci : si vous voulez des océans durables, si vous voulez la sécurité alimentaire, vous devez être à nos côtés, nous, les petits pêcheurs, les femmes, les jeunes, les communautés.

Nous sommes prêts. Nous espérons que vous l’êtes aussi.

Merci.

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