À Mbour, au Sénégal, la Journée mondiale de la pêche 2024 a célébré les dix ans des Directives volontaires pour une pêche artisanale durable et le cadre stratégique de réforme de l’Union africaine. Un événement marqué par la passion, des témoignages émouvants et des appels à l’action pour un avenir inclusif et durable.
Une décennie de Directives, un héritage à concrétiser
Le 20 et 21 novembre 2024, Saly, au Sénégal, a été le théâtre d’échanges riches et passionnés. À l’occasion de la Journée mondiale de la pêche, des représentants de la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA), des partenaires internationaux, ainsi que des pêcheurs et pêcheuses artisans venus de 29 pays africains se sont réunis pour célébrer une étape clé : les dix ans des Directives volontaires pour une pêche artisanale durable.
Cet événement, organisé avec le soutien de partenaires comme la FAO, Pain pour le Monde et la CAPE, avait pour but d’évaluer les progrès réalisés, partager les bonnes pratiques et de tracer une feuille de route pour les prochaines années.
« Les Directives constituent un cadre essentiel pour garantir que la pêche artisanale continue de contribuer de manière significative à la sécurité alimentaire et au développement durable », a rappelé Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, dans son discours d’ouverture.
Dès les premières interventions, une atmosphère empreinte de détermination et d’espoir s’est installée.
Dans son intervention, le Dr Ndiaga Gueye, fonctionnaire principal chargé des pêches et de l’aquaculture au bureau régional Afrique de la FAO, a mis en avant plusieurs aspects clés du secteur de la pêche artisanale et des Directives volontaires.
L’importance des Directives pour les communautés :
« Les Directives volontaires sur la pêche artisanale durable vont au-delà de la pêche. Elles mettent en évidence les droits des pêcheurs et des travailleurs du secteur. Elles portent avant tout sur les personnes et non seulement sur les poissons. »
Il a insisté sur leur rôle en tant qu’outil de dialogue, de politique et d’action à tous les niveaux, des communautés locales aux institutions internationales.
Les contributions socio-économiques de la pêche artisanale :
« À l’échelle mondiale, la pêche fournit des aliments nutritifs et abordables à des millions de personnes, jouant un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire et la croissance économique. En Afrique, elle constitue l’épine dorsale des communautés », a indiqué le Dr Gueye.
Il précise que la pêche artisanale fait vivre directement plus de 110 millions de personnes et, avec leurs ménages, elle profite à près de 500 millions de personnes.
Le ton était donné. Mme Imke-Friederike Tiemann-Middleton, Programme Officer Continental Projects & Networks/ Africa, a exprimé sa joie et son honneur de représenter Pain pour le Monde. Elle a réaffirmé l’engagement à transformer les visions en réalité, en mettant l’accent sur la représentation juste des femmes dans le secteur et la gestion inclusive des ressources halieutiques.
« Aujourd’hui, nous célébrons bien plus qu’un anniversaire. Nous réaffirmons notre engagement envers les communautés qui font vivre la pêche artisanale », a-t-elle déclaré.
L’émotion était palpable dans les interventions des femmes, pilier souvent oublié, mais crucial de ce secteur. « Les femmes jouent un rôle fondamental, non seulement dans la transformation des produits halieutiques, mais aussi dans l’innovation », a affirmé Imke Tiemann-Middleton.
Le Dr Gueye a également souligné la proportion importante des femmes dans ce secteur et l’importance de leur garantir des conditions de vie et de travail décentes.
“Sur l’ensemble la population engagée dans la pêche à petite échelle, 40 % sont des femmes. Leur offrir des conditions de vie et de travail décentes est essentiel si nous voulons une pêche artisanale durable”, a-t-il déclaré.
Une décennie de réalisations : les avancées marquantes
Depuis leur adoption en 2014, les Directives ont inspiré de nombreuses initiatives à travers le continent. Gaoussou Gueye a salué des progrès significatifs dans des pays comme le Sénégal, Madagascar, ou encore l’Ouganda : « Nous avons vu des avancées concrètes qui montrent que les Directives ne sont pas qu’un texte sur du papier. Elles sont une réalité vivante qui change des vies. »
Le conseiller technique du ministère des Pêches, des Infrastructures Maritimes et Portuaires du Sénégal, a présidé la cérémonie d’ouverture au nom du ministre Dr Fatou Diouf. M. Abibou Diagne a salué l’initiative de la CAOPA et a souligné l’engagement du gouvernement sénégalais :
« Le gouvernement du Sénégal apprécie le rôle des différentes organisations de pêche artisanale à travers le monde grâce à leur participation active dans le cadre de cet appel à l’action auprès des gouvernements et de la communauté internationale. »
Le message qu’il a voulu passer au du ministre de la pêche, c’est “d’exhorter encore plus les acteurs et de leurs partenaires à plus de responsabilités pour une gestion durable des ressources, pour garantir le rôle que joue la pêche en termes d’apport nutritionnel des populations, et de revenus pour les acteurs de la pêche”.
Gaoussou Gueye a saisi l’occasion souligner l’importance de l’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales de 2022, qui a donné un nouvel élan à l’adoption des principes des Directives. « Nous devons continuer à bâtir sur cet élan pour consolider les acquis et aller encore plus loin », a affirmé le Dr Ndiaga Gueye, représentant de la FAO.
Les défis persistants : un appel à l’action
Malgré ces avancées, des obstacles demeurent. Un constat a dominé les discussions : la méconnaissance des Directives par de nombreux décideurs et communautés locales. « Il est essentiel de renforcer la sensibilisation et la formation autour de cet instrument. Trop de gouvernements ignorent encore leur existence », a déploré le président de la CAOPA.
Les intervenants ont également pointé la nécessité de mieux intégrer les Directives avec d’autres engagements internationaux, comme la feuille de route pour la transformation bleue de la FAO.
« Face à des défis tels que la surpêche industrielle, le changement climatique, une augmentation des coûts de vie en général et les inégalités de genre, nous savons que la force de la CAOPA réside dans sa solidarité, sa diversité et sa résilience », a ajouté Imke-Friederike Tiemann-Middleton.
« Ces défis menacent la durabilité du secteur et nécessitent des mesures hardies », précise le Dr Ndiaga.
Le changement climatique a été particulièrement pointé comme une menace majeure. Il perturbe la biologie des espèces et affecte la productivité des écosystèmes, et met en péril les moyens de subsistance des communautés des pêcheurs artisans.
Des priorités claires pour l’avenir
L’appel à l’action de la pêche artisanale a permis de déterminer cinq priorités majeures pour l’avenir :
- Garantir un accès préférentiel et cogérer les zones côtières : Il est crucial d’impliquer activement les communautés locales dans la gestion des ressources.
- Soutenir le rôle des femmes et leur participation : Les femmes, souvent en première ligne dans les activités de transformation et de commercialisation, doivent bénéficier de politiques inclusives.
- Protéger la pêche artisanale contre la concurrence des secteurs industriels : La pression exercée par l’économie bleue menace directement les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux.
- Renforcer la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources : Une gouvernance participative est essentielle pour assurer la durabilité.
- Construire des communautés résilientes face au changement climatique : Les effets de ce dernier représentent une menace existentielle pour les écosystèmes marins et les populations qui en dépendent.
L’humain au cœur des débats
Durant les deux jours, les participants ont partagé des récits poignants sur les défis quotidiens auxquels font face les pêcheurs artisans : la surpêche industrielle, le changement climatique, la pêche INN, ou encore les inégalités de genre. Mais ils ont aussi mis en avant des initiatives porteuses d’espoir, comme les efforts pour garantir l’accès préférentiel des communautés locales aux ressources halieutiques et pour soutenir le rôle des femmes dans ce secteur clé.
Les récits des acteurs présents ont donné une dimension profondément humaine aux discussions. « Je transforme le poisson depuis 20 ans, et je vois les poissons devenir de plus en plus rares. Mais je vois aussi que, quand nous sommes unis, nous pouvons faire bouger les choses », a confié une participante du Sénégal.
Un autre moment fort a été le témoignage d’un jeune pêcheur de Sierra Léone, qui a parlé des défis pour la nouvelle génération : « Nous avons besoin d’espoir, mais aussi de formations pour devenir des gardiens de nos ressources. »
Une célébration, mais surtout une promesse
La Journée mondiale de la pêche 2024 n’était pas seulement une célébration, mais aussi un moment de réflexion et d’engagement collectif. Comme l’a résumé Gaoussou Gueye dans ses remarques finales : « Que ce double anniversaire soit l’occasion de renouveler notre engagement à défendre les droits des communautés de pêche artisanale africaine. Ensemble, nous pouvons bâtir un avenir auquel la pêche artisanale sera reconnue pour sa véritable valeur. »
Une émotion palpable a traversé l’assemblée, renforcée par l’engagement commun à transformer les idées en actions concrètes. La pêche artisanale africaine, malgré ses défis, reste une force résiliente et essentielle pour le développement durable du continent.
Une visite à Djifer
En marge de cette célébration, les participants ont fait une visite au village de Djifer, au sud de Mbour, pour mettre en lumière l’impact du changement climatique.
Les visiteurs ont exploré les habitations envahies par les eaux, la digue érigée par un marabout et ses talibés pour contrer les vagues, ainsi que des sites essentiels comme le quai de pêche et les aires de transformation.
La journée s’est conclue par des échanges riches avec le conseil local de pêche. Les membres ont partagé les défis critiques auxquels ils font face, notamment l’érosion côtière et la pollution.
Alors que les participants se dispersaient, une phrase prononcée par un intervenant a marqué les esprits : « Nous sommes petits par notre échelle, mais grands par notre impact. » Une vérité qui, à elle seule, illustre la valeur inestimable de la pêche artisanale en Afrique.
Hommage au Dr Ndiaga GUEYE
En marge de la célébration de la Journée mondiale de la pêche 2024, la CAOPA a organisé une cérémonie d’hommage au Dr Ndiaga Gueye. Plusieurs personnes-ressources ont rendu hommage à cet homme “exceptionnel” qui a contribué pour le développement de la pêche en Afrique.
Mamadou Aliou DIALLO